Algérie

«La police égyptienne est intimement liée au pouvoir des notabilités» Tewfik Aclimandos, Chercheur invité au Collège de France, spécialiste de l'histoire politique de l'Egypte contemporaine



«La police égyptienne est intimement liée au pouvoir des notabilités»                                    Tewfik Aclimandos, Chercheur invité au Collège de France, spécialiste de l'histoire politique de l'Egypte contemporaine
D'entrée, Tewfik Aclimandos a tenu à rendre à la révolution égyptienne son label d'origine contrôlé, ses lettres de noblesse, son cachet «authentique» : «Je ne dirais pas, comme certains : la révolution française n'a fait que parachever l''uvre de l'ancien régime. Ce qui voudrait dire qu'il n'y a pas de révolution du tout. En Egypte, on ne peut pas nier aujourd'hui qu'il y a eu un soulèvement multi-classes, un soulèvement populaire. Il y a bien une révolution et elle est en cours car, incontestablement, dans les imaginaires, les discours comme dans les pratiques se sont opérés des changements. On ne sait pas encore si c'est (la révolution de) 1789 ou de 1848, mais elle est bien là.» Pour sa communication traitant du «Rôle de la police et de l'armée dans les transitions démocratiques», Tewfik Aclimandos s'est avancé prudemment, en tâtonnant, servant un exposé fort en «anecdotes». Et pour cause !
Il n'y a pas, selon lui, un seul travail universitaire de fait sur les classes moyennes provinciales, «alors que celles-ci fournissent l'essentiel des effectifs de la police, de l'armée et des Frères musulmans». Un terrain d'étude vierge, inexploré. Si la police a de tout temps été intimement liée au «pouvoir des notabilités» c'est d'abord par le fait de sa composante humaine, sociologique : «Le corps des officiers de police est constitué, selon le chercheur, essentiellement par les 'fils' des grandes familles provinciales. Les familles de notables consolident leur pouvoir local en plaçant leur progéniture dans ce corps. C'est extrêmement important, car cette réalité constitue un obstacle dans la lutte contre la corruption et les connivences.»
Une réalité qui est d'autant plus difficile à changer que le pouvoir, en Egypte, a annulé l'Etat de droit 30 ans durant. «A l'exception des officiers qui ont 55 ans et plus, aucun officier n'a fonctionné dans un Etat de droit», note l'intervenant. Pour illustrer la méfiance de la police vis-à-vis des partis de l'opposition, les Frères musulmans en particulier, le politologue choisit de remonter à l'assassinat de Sadate en 1981 et la tentative, quelques jours après, des islamistes radicaux, de prendre le pouvoir à Assiout, tuant au passage 88 policiers et promenant haut, à travers la ville, leurs têtes accrochées sur des pics. Démantelé et jugé, le groupe s'en est sorti sans aucune condamnation à mort.
«Cela a été vécu comme un traumatisme dont on ne mesure pas encore les conséquence et déclenchera un cycle de vendetta contre les djihadistes, en plus de susciter une perte de confiance en la justice égyptienne.» S'ensuivent, en 1992-1993, une série d'attentats et de «micro-insurrections» djihadistes prenant pour cible l'industrie touristique, le poumon économique de l'Egypte. Des attentats marqués par des vagues de répression policière. Des micro-insurrections qui coïncident avec la première guerre du Golfe et le retour forcé de 2 millions de travailleurs égyptiens. Ce choc démographique et sécuritaire important, aggravé par les tentatives d'assassinat ratées du président Moubarak, accélérera le processus de métastase de l'appareil sécuritaire qui finira par obtenir les pleins pouvoirs.
En 1997, la «guerre contre les islamistes» gagnée, plusieurs types de problèmes surgissent, relève l'expert : «Dans le corps de la sécurité d'Etat, les professionnels de la sécurité se savent détestés par la population. Car de 1952 à 1970, ils servaient le nassérisme, très populaire ; de 1970 à 1981, ils gèlent le jeu politique égyptien pour permettre au président Sadate de recouvrer le Sinaï. De 1982 à 1990, ils gèrent l'ouverture, modérée mais réelle, du jeu politique ; dans les années en 1990, ils sauvent l'économie égyptienne et, en 1997, ils protègent une famille.»
Habib Al Adli arrive au ministère de l'Intérieur en 1997. Poursuivi par la justice de l'Egypte post-révolutionnaire, notamment dans l'affaire dite «du chameau», Habib Al Adli est présenté par Tewfik Aclimandos comme «le moins antipathique» parmi les dirigeants de l'Egypte : «Cela peut choquer, mais c'est un grand policier. Il a vu venir les protestations populaires, les pressions américaines en faveur de la démocratisation et il prendra par conséquent un certain nombre de mesures, dont l'amélioration des conditions de détention des prisonniers pour neutraliser les ONG des droits de l'homme.»
Habib Al Adli s'attellera aussi à «privatiser» la répression en mettant sur place des groupes, des milices, à qui il enseignera les arts du combat.Selon l'auteur de L'Armée égyptienne et les Frères musulmans, Habib Al Adli était «sensible» au malaise de la petite troupe : «Son erreur fatidique était de l'avoir laissée se servir.» Détonateur de la révolution égyptienne, «l'affaire Khaled Said», du nom du blogueur égyptien arrêté pour avoir posté sur internet une vidéo compromettante pour la police, puis battu à mort le 6 juin 2010, illustre justement les méthodes de racket auxquelles les fonctionnaires de police avaient recours pour arrondir leurs fins de mois.
Une «bavure de petit policier» aggravée par la gestion policière chaotique des manifestations de janvier qui ont suivi. Cette police a fait «faillite». «Les policiers se sentent trahis, haïs. Ceux qui font leur devoir en tirant sur les manifestants sont devenus des traîtres, et les insoumis traités avec ménagements.»
Tewfik Aclimandos déplore qu'au XXIe siècle, le ministère de l'Intérieur ne dispose pas d'archives : «Il faut lever le secret et rompre cet engagement du ministère de l'Intérieur qui maintient toujours la clause de secret concernant le personnel.»
Les réformes de l'appareil d'Etat égyptien (obligation du port du badge pour les policiers, dégraissement des missions de la police, etc.), sont perçues comme «une rupture du contrat moral qui liait le ministère de l'Intérieur à son personnel».


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