Algérie

La poésie féminine


Pour autant que l’on accepte de suivre sa trace dans les périodes les plus lointaines de notre histoire, il parait évident que la poésie orale féminine fait partie intégrante du paysage littéraire arabo-maghrébin depuis des siècles. Une bonne partie des corpus que nous conservons aujourd’hui en Algérie témoignent ainsi de l’ancienneté d’une tradition qui s’ancre dans un socle anthropologique et culturel arabo-berbère multiséculaire.
A cet égard, et d’un point de vue historique, force est de reconnaître que la tradition littéraire arabe ne nous a pas légué de témoignages consistants et précis sur les productions populaires et, plus spécifiquement féminines, aux époques classiques (Omeyyades, Abbassides). Alors même que la Femme et ses attributs psychologiques, affectifs et érotiques figurent bien au centre du dispositif poétique des chefs d’oeuvre de cette riche période, en dehors des cercles « politiques » et « lettrés » (avec leurs qaynât), nous ne connaissons pratiquement rien des pratiques et répertoires proprement féminins. A l’évidence, la prégnance des interdits ou non-dits liés à la parole féminine s’explique en grande partie par le statut des locutrices-poétesses (généralement anonymes), par l’importance des tabous et préjugés associés aux représentations du corps féminin et à la prégnance des valeurs éthico-normatives impliquées dans la gestion de l’honneur familial ou tribal.
C’est paradoxalement avec l’essor des études « orientalistes » - largement tributaire de l’implantation et du développement du modèle colonial au Maghreb - que l’on va assister aux premières tentatives de collecte et de classement des corpus féminins. Il faudra ainsi attendre 1902 pour voir paraître le premier ouvrage scientifique consacré au Dialecte arabe parlé à Tlemcen. Dans le corpus qu’il présente à la fin de cette monographie, William Marçais consacre quelques dizaines de pages (fortes importantes au demeurant) au Hawfi, à ses caractéristiques et il propose une sélection de poèmes parmi les plus connus.
En ce qui concerne la période des années 1930-1940 – qui coïncide avec l’émergence et la structuration du mouvement national-, force est de reconnaitre que la participation des (maigres) élites algériennes à l’effort scientifique portant sur l’étude des répertoires féminins reste dérisoire. Mis à part quelques publications marquantes (Bencheneb, Lacheraf), ce type de productions littéraires fait incontestablement l’objet d’un manque évident de curiosité quand il ne se trouve pas stigmatisé de par son statut complexe de poésie féminine, « populaire » et d’expression orale « dialectale ».
Avec un certain recul, et avec toutes les précautions d’usage, on peut avancer que la période post-indépendance, malgré ses promesses, affiche un solde pour le moins décevant. Certes, à partir des années 1980, la mise en place de « Départements de Culture Populaire » au sein de quelques universités (Tlemcen, Alger, Tizi-Ouzou), la constitution et la restructuration d’unités de recherche particulièrement active (URASC , CRASC, CRAP/CNRPAH), l’évident regain de considération manifesté par les pouvoirs publics (Ministères de l’Enseignement supérieur, de la Culture) ajoutés à une plus grande prise de conscience de la part du milieu associatif à une attention notablement plus importante accordée par les médias (Radios, Télévision) permettent d’espérer une amélioration sensible du tableau général. Pourtant, la situation qui prévaut au début des années 2000 montre clairement que d’importants efforts sont encore à accomplir. Compte tenu de la quasi absence de collectes et d’enregistrements, un certain nombre de remarques s’imposent ici parmi lesquelles le manque d’informations précises et documentées sur l’état des répertoires : dénominations, aires de répartitions, évaluations quantitatives des corpus, statuts des pratiques et des « pratiquantes », etc.
Ce constat vaut évidemment aussi bien pour Tlemcen et sa région que pour l’ensemble du territoire national. Sur ce point, on observera que certains répertoires féminins sont dans une situation plus favorable que d’autres. Témoin les répertoires de contes, voire de devinettes et de proverbes. A contrario, les répertoires liés aux activités domestiques, économiques, festives (berceuse, chants de travail, chants rituels, de célébrations, etc.) sont généralement très peu étudiés. Et l’observation est encore plus pertinente si l’on considère la différence de traitement entre les répertoires citadins et ruraux. Il faudrait également évoquer la tendance assez générale au surinvestissement idéologique au détriment d’approches (socio-historiques, anthropologiques, esthétiques) véritablement scientifiques.
Au final, s’il reste encore beaucoup à faire, il importe de souligner le mérite des quelques rares chercheurs/ses impliqué(e)s dans de laborieuses études de terrain, confronté(e)s à toutes sortes de difficultés matérielles et administratives mais toujours prêt(e)s à s’investir (par intérêt scientifique autant que par passion personnelle) dans de longues explorations - généralement peu valorisantes et de fait peu / pas valorisées. Il convient d’insister aussi sur la nécessité des échanges et des mesures de coordination entre les chercheurs et les équipes à travers le territoire national et au-delà (Maghreb, Méditerranée, monde arabe). En outre, il nous semble extrêmement important d’encourager et de développer au maximum les perspectives comparatistes tout en multipliant les possibilités de collaborations transdisciplinaires (linguistes, anthropologues, historiens, psychanalystes, poéticiens, etc.).
Enfin, il est fondamental que les décideurs publics prennent des mesures rapides afin d’encourager et de favoriser les retombées, scientifiques, pédagogiques, artistiques et plus globalement socioculturelles des travaux et recherches arrivés à maturité.
C’est donc à une réflexion critique et prospective se situant à différents niveaux d’analyse (local, national, maghrébin, arabe et méditerranéen) et dans une perspective résolument comparatiste et transdisciplinaire que nous souhaiterions convier les participant(e)s. Leurs contributions scientifiques devraient permettre de dresser un état des lieux et d’éclairer les processus de production, de transmission et d’adaptation des répertoires poétiques féminins à Tlemcen et sa région.
Axes d’interventions
1) Situation de la production poétique féminine au Maghreb, dans le monde arabe et méditerranéen
1 - Les littératures féminines : contextes sociohistoriques, scientifiques (recherches, concepts, problématiques)
2 - Les différents genres poétiques : caractéristiques formels et thématiques
3 - Pratiques et pratiquant(e)s : statuts et
4 - Les contextes socio-anthropologiques (jeux, rituels, etc.)
5 - Oralité féminine et culture populaire : enjeux esthétiques, socioculturels et idéologiques
6 – Les évolutions et mutations socio-littéraires entre tradition et modernité
2) La tradition poétique féminine en Algérie : Tlemcen et sa région. Etats des lieux
1 - Histoire et cadres socioculturels
2 - Les genres poétiques féminins (taxinomie, définition des corpus) et leurs rapports avec les autres genres (melhûn, hawzî, çan’a, etc.)
3 - Les formes et les thèmes : cadres rhétoriques et imaginaires collectifs
4 - Les pratiques et les pratiquant(e)s : statuts et conduites
5 - Les contextes et fonctions : dimensions ludiques, rituelles, etc.
6 - Les enjeux esthétiques, éthico-normatifs et idéologiques
3) Evolutions et mutations de la production poétique féminine
1- La poésie féminine et la musique
2- La poésie féminine et l’écriture (poésie, roman, théâtre)
3- La poésie féminine et la peinture
4- La poésie féminine et le cinéma
5- La poésie féminine et les NTIC
4) La recherche et la valorisation du patrimoine poétique féminin : bilan et perspectives
1 - Institutions universitaires et centres de recherches : programmes et équipes
2 – Institutions culturelles
2 - Enseignement, édition, médias
3 – Secteur associatif : problématiques et expériences
4 - Projets, perspectives, recommandations
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