La pièce rapportée

Dans la France des provinces, généralement, quand on marie son fils et l'on ramène la bru dans la demeure conjugale, on dit que c'est le jour de «la pièce rapportée». De l'intruse à la famille, la «pièce rapportée», comprendre par-là, la nouvelle mariée, devient un nouveau membre à part entière du foyer à qui l'on confie certains secrets, certains nouveaux codes, le récit ou l'histoire de chaque membre, les us et les traditions dont est coutumiers, etc. Au fil du temps, «la pièce rapportée» s'incruste dans le décor et en forme partie intégrante. Grâce à cette dernière, la famille s'élargit et d'autres enfants viendront égayer le foyer, au grand bonheur des grands-parents. Les visages changent et d'autres traits physiques venus d'autres alliances forgeront désormais les fratries naissantes. Et petit à petit, la relève prend le dessus sur l'ancienne génération qui commence à s'essouffler. Ainsi, la pièce rapportée, ayant déjà pris le nom de sa nouvelle famille, en devient la pièce maîtresse dans l'échiquier familial, au regard de sa progéniture. Elle installe d'autres codes, elle tisse d'autres secrets, elle apprend à gérer une famille élargie. Une femme, dit-on, ne réussira jamais à s'implanter dans le nouveau sol marital, seule et sans enfants. L'unique garantie à sa survie, c'est qu'elle s'enracine et s'enfouisse dans les tripes familiales. Et la bru devient mère qui cherche aussi à marier ses enfants à de nouvelles «pièces rapportées», puis grand-mère qui aura le privilège d'être «temporairement» à la tête de l'arbre généalogique de la famille. Et, par le jeu des alliances entremêlées, toute la famille se recompose, se métamorphose, se décompose au gré des liaisons : les enfants des frères et des s?urs ne seront que des cousins et la progéniture de ces derniers des cousins éloignés, lesquels s'éloigneront encore davantage par l'effet du temps, à cause des nouvelles «pièces rapportées»! Le corps de la grande famille ne parvient plus, finalement, à reconnaître les ramifications de ses petits membres, lesquels sortent pourtant logiquement de sa descendance directe... Et ainsi va le cours du temps...