Algérie

La peur de perdre son "beurre"



"On se démène pour essayer de fabriquer des quantités très réduites, mais cela ne couvre même pas les charges de l'entreprise", se plaint le producteur de fromage et de camembert.Avec son sourire et sa sérénité, l'homme qui vient à notre accueil donne la nette impression que tout lui sourit. Mais à peine la discussion engagée, l'on se rend compte que Amar Gadi est un chef d'entreprise assez tourmenté par la situation actuelle et les incertitudes qu'elle génère.
L'entreprise familiale Essendou qu'il dirige depuis 2008 n'a jamais été aussi malmenée que depuis le début de cette crise sanitaire. Elle est quasiment en arrêt d'activité. Dans la cour de l'entreprise, les véhicules de service sont recouverts d'une épaisse couche de poussière.
Les imposants bâtiments qui abritent les bureaux administratifs et les ateliers de fabrication de fromages et camemberts sont désormais presque vidés de leurs occupants. En temps normal, cette entreprise située dans la zone d'activité de Draâ Ben Khedda emploie 70 personnes.
Depuis le début du confinement, il n'en reste plus que quelques-uns. Tout en se dirigeant vers son bureau où il continue à se rendre chaque matin comme en temps normal, Amar Gadi nous explique d'emblée que l'atelier camembert est fermé depuis le début du confinement. "Je comptais garder au moins une équipe de 15 employés pour continuer à fabriquer du fromage fondu, tant nous disposons de matières premières qui risquent de devenir inutilisables à l'avenir, puis aussi parce que durant le mois de Ramadhan, nous réalisons 30% de notre chiffre d'affaires annuel sur le fromage fondu", explique-t-il. Mais seulement, les choses ne se sont pas déroulées comme il le souhaitait.
"Le coronavirus n'a fait que serrer davantage la corde autour du cou"
N'ayant pas obtenu des autorisations de circulation pour 9 de ces 15 employés, l'entreprise ne peut assurer le processus de fabrication de bout en bout, a déploré Amar Gadi. "On se démène pour essayer de fabriquer des quantités très réduites, mais ça ne couvre même pas les charges de l'entreprise", dit-il.
Rien que pour faire face à la dette bancaire, il lui faut gagner environ 200 000 DA par jour ; 50 à 100 000 DA par jour sont également nécessaires pour faire face aux charges d'énergie, "même lorsque l'usine ne travaille pas", précise t-il.
Pour ce chef d'entreprise, les industriels auraient été moins impactés s'il ne s'agissait que de cette crise sanitaire. Mais, nous a-t-il expliqué, le coronavirus n'a fait que serrer davantage la corde autour du cou des industriels qui ont déjà, dit-il, de tout temps souffert des politiques conjoncturelles et du fait qu'il n'y ait jamais eu de cap fixé à long terme. Mais notre interlocuteur préfère s'attarder sur les seules péripéties vécues durant l'année 2019. "J'ai été déjà impacté sur le plan commercial durant l'année écoulée. Les rumeurs sur la grève ont porté des coups durs à nos ventes.
Les camemberts sont des produits fragiles, alors, dès qu'on parlait de grève, les commerçants préféraient ne pas s'approvisionner, sinon en petites quantités", a détaillé à ce sujet le patron de la maison Essendou. La décision prise par le gouvernement en 2019 d'instaurer le mode FOB pour les importations n'était pas de nature à arranger les choses. Cette décision a généré des pénuries de matières premières, dit-il. "Depuis 2016, on travaille avec une poudre de lait spécifique importée, mais avec la mise en place du mode FOB en remplacement du mode CFR, nous avons commencé à avoir de sérieux problèmes de transport maritime.
L'Etat venait à peine d'abandonner le FOB, que la crise sanitaire est venue tout bloquer à nouveau", déplore-t-il, soulignant que les industriels n'ont pas eu ainsi le temps de s'approvisionner et, par conséquent, la plupart sont en train d'épuiser leurs anciens stocks. "La situation risque d'être désormais difficile", lâche Amar sur fond d'un soupir qui en dit long sur sa peine.
Le report des échéances bancaires jusqu'à septembre, annoncé à titre de mesure d'aide aux entreprises, est "important" mais "insuffisant" de l'avis de M. Gadi, qui estime qu'il serait plus judicieux que ces échéances soient reportées au moins jusqu'à janvier. "On ne sait déjà pas quand cette pandémie s'arrêtera. Puis, même si elle sera endiguée à la fin du printemps, beaucoup d'entreprises ne pourront pas reprendre leur activité immédiatement", a-t-il argumenté.
La cause en est, dit-il, que le manque de matières premières sera le plus gros problème auquel seront confrontés les industriels dans tous les secteurs. "La plupart des industriels travaillent avec leurs anciens stocks de matières premières. Même si donc le confinement sera levé, ce n'est pas le lendemain que les entreprises pourront être approvisionnées", explique-t-il, avant de plaider également pour le report de toutes les autres charges sociales et fiscales au début de l'année prochaine.
Faute de mesures adéquates, prévient ce chef d'entreprise, les conséquences peuvent être des plus fâcheuses sur le monde du travail et, par conséquent, sur la société. "Ce qui m'inquiète le plus, c'est l'après-corona, car on risque d'avoir une importante vague de nouveaux chômeurs, et c'est encore plus facile d'être chômeur et de le rester, que d'avoir eu déjà un emploi et le perdre", souligne-t-il, craignant que cette vague soit encore plus importante que ce qu'a prédit le FCE. "Je ne suis même pas sûr de pouvoir garder tous mes employés", déplore-t-il.


Samir LESLOUS


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