Algérie

La peste, le choléra et la fièvre aphteuse


La peste, le choléra et la fièvre aphteuse
«Les idées reçues sont des maladies contagieuses.» Esther RochonAu moment des commémorations, chacun reproche, sans se mouiller, à celui qui a le privilège ou la lourde tâche de contribuer à nourrir la mémoire collective de témoignages ou de commentaires se rapportant aux années de braise, de ne pas mettre l'accent sur tel ou tel autre événement, de mettre en relief un personnage plutôt qu'un autre... Chacun voit midi à sa porte. C'est un débat toujours malaisé à mener que celui qui oppose les Anciens et les Modernes. Oh! Il ne s'agit nullement, ici, de l'âge des protagonistes, mais de leur formation et aussi de leurs intérêts. Ceux qui ont été formés à l'école de la scolastique, de la culture livresque et qui bénéficient de la rente du prince ne peuvent partager le même point de vue que ceux qui ont bu à toutes les amertumes de la vie, ceux dont la vie quotidienne et la rue ont été leur simple université et qui, de surcroît, tirent toujours le diable par la queue. Il est évident que ces derniers veulent, à tout prix, détrôner les premiers de leur tribune qui leur vaut tant de privilèges et prendre leur place pour le seul intérêt de la vérité. Car chaque camp prétend détenir la vérité et c'est pour cette raison, que le débat peut durer des années faute de certitudes et de preuves matérielles. Et c'est là où le bât blesse: dans un système qui a toujours témoigné peu d'attention aux archives, ou quand elles existent, dressé mille obstacles bureaucratiques pour les rendre inaccessibles au modeste chercheur, dans un système où les témoins oculaires sont réduits au silence, le débat peut prendre l'allure de querelle byzantine tant les arguments des uns et des autres sont intimement liés à leurs carrières respectives, à leur passé composé, décomposé ou simplement simple, car personne ne peut prétendre à un passé plus que parfait, à moins de n'avoir pas de passé. Qui croire' Celui qui est sorti du moule du régime, qui a gravi tous les échelons des responsabilités, qui a accompli toutes les tâches avec le même soin, le même empressement, qui a appliqué toutes les directives venues «d'en haut», qu'elles soient écrites ou orales, en clair ou codées, celui qui n'a jamais dit «non» aux voies inspirées de ceux qui l'ont placé, celui qui a été nourri au bon lait de la mamelle féconde du régime, celui qui a été dorloté, chouchouté, bercé, celui qui a été promu, encensé, félicité par ceux qu'il a fidèlement servis, n'aura jamais la même vision, la même interprétation des événements, le même éclairage sur les statues que le régime s'est lui-même dressées, que le pauvre quidam malmené, ballotté par un système impitoyable' Celui qui aura acquis ses connaissances par sa seule volonté et qui a exercé sa syntaxe aux concepts démocratiques, celui qui n'a connu que le revers de la médaille d'un système qui a fait la fortune des médiocres, des opportunistes, des démagogues, des «khobzistes», verra se dresser contre lui tous les thuriféraires d'un système dont le bilan est, d'après les observateurs les moins impliqués dans la polémique, catastrophique, du moins pour la grande majorité des citoyens. Les défenseurs du système, même ceux qui prétendent avoir coupé le lien ombilical avec leurs employeurs, n'en demeurent pas moins solidaires entre eux.Alors, dès qu'un pauvre hère, marginalisé, banni, réduit à l'exil, obligé de gagner son pain quotidien à la sueur de son front, voit fondre sur lui les escadrons de la rente, criant haro sur le baudet, ils opposent leurs arguments faits de concepts abstraits qui ne résisteraient nullement à un examen superficiel: des concepts qui sentent la langue de bois comme: patriotisme, nationalisme, militantisme, esprit de sacrifice...Le pauvre opposant, lui, qui tient tant à sa vérité, martèle avec obstination sa vérité construite infailliblement d'après la comptabilité même du système: morts, arrestations, assassinats, tortures, détournements, censure...avec l'éternel reproche: «Mais, qu'avez-vous fait de nos vingt ans», au temps de la peste, du choléra ou de la fièvre aphteuse'».


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