Algérie

La patate, la musique et ses partitions



Hier au marché de Aïn-Benian, un monsieur, visiblement scandalisé par les prix des fruits et légumes s'est mis à crier à tue-tête : la mafia, vous êtes une mafia, elle est là, la mafia, il ne faut pas la chercher ailleurs ! Bien sûr, la scène n'est pas originale. C'est un esclandre comme un autre d'un quidam poussé au paroxysme du dépit face à l'intenable. Il venait de faire le tour des étals, et ce qu'il y a vu comme affichage a de quoi faire sauter un plomb aux gens de sa condition : le poivron à 200 dinars, la patate à 90 et la tomate à 130... et puis le pire qui l'attendait au sortir du marché, la tradition voulant qu'on achète le pain en dernier : la baguette ordinaire est problématique quand elle n'est pas tout bonnement introuvable. Ceux qui «connaissent la musique» qui accompagne en général ce genre de colère, qu'elle soit naturelle comme c'est le cas, organisée comme c'est rare ou contenue comme souvent, savent par ricochet les partitions qu'on allait entendre à l'occasion. Même s'il est parfois difficile d'en distinguer les orchestres, on imagine sans grande difficulté la composition et parfois l'ordre de passage, même s'il est de moindre importance. Parmi ces «groupes», il y a ceux-ci que vous ne pouvez pas rater et pour cause, ils sont toujours les premiers à entrer en scène, ils sont les plus bruyants, les plus perspicaces et ils ont cette rare chance de tout savoir. Alors, le temps que vous repreniez votre souffle et ils auront tout expliqué aux nuls chroniques que vous êtes : «C'est évident que ça vient d'en haut. Ils préfèrent que nous parlions de patate et de pain plutôt que de nous voir aborder les choses sérieuses» !Ce n'est pas sérieux, le pain et le tubercule ' Sérieusement. Il y a ensuite les éternels seconds. Ils sont contents de leur statut parce que dans cette histoire, ils n'ont pas vraiment d'ambition ; ils insistent seulement pour prendre leur place, en disant leur mot. C'est le même, rasant, attendu mais ils tiennent à le dire quand même : «Il a tort, il n'a rien compris.» Dans chaque coin du pays, il y a toujours un pauvre bougre, un bougre tout court et surtout un pauvre tout court comme celui du marché de Aïn Benian. Alors, ils lui parlent en faisant en sorte qu'ils soient entendus par les autres : la mafia, n'est pas au marché, elle est dans les marchés de gros, les gros mandataires, les transporteurs, les... gros quoi ! C'est très confortable, les certitudes, vous ne trouvez pas ' Il y a enfin ceux qui se font plus discrets parce qu'il y a quand même des choses qu'on ne peut pas dire en public et à voix haute. Ils vont la dire, quand même, leur «chose» : de quoi vous vous plaignez ' La pomme de terre est à ce prix parce que vous ne travaillez pas. Vous n'êtes pas obligés de manger des poivrons et des tomates. N'achetez rien et les prix vont baisser... Merci, Messieurs, on ne le savait vraiment pas.
S. L.


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