Algérie

La palabre...


Le Larousse la définit comme l'assemblée de tribus africaines, au cours de laquelle sont débattus les problèmes communautaires. N'est-ce pas là une pratique primaire de la démocratie? Elle anoblit l'individu en le faisant participer au débat, même s'il n'est pas tenu compte de son avis.

Notre palabre à nous, dépasse le cadre communautaire; elle est ciblée, elle débat de l'individu ou de la collectivité. Elle dissèque la vie intime, de l'origine du conjoint à sa descendance, écorchant au passage l'ascendance ou les collatéraux. Elle est segmentée, elle peut être familiale, de voisinage, professionnelle ou corporatiste et parfois même scientifique. Elle se pratique dans des refuges consacrés, bureau de surveillance scolaire, guérite de gardien, entrée d'immeubles, perron de mosquées ou tout autre lieu ouvert sur l'extérieur pour que le champ visuel ne soit pas oblitéré. Elle revêt un caractère sectoriel, les secteurs de la Santé et de l'Education, entre autres, sont les plus productifs de palabre qui se subdivise, en indogène destinée aux collègues et exogène se nourrissant des apports extérieurs ciblant les usagers. Son vocabulaire lexical est propre au secteur d'activité, il ne peut être destiné qu'aux initiés, il peut même être difficile à la compréhension commune, de par son codage linguistique. Gare à celui ou à celle qui commet un impair; ce sera vite rapporter à l'état brut, sans véracité établie, ni recoupement, ni preuve matérielle. Pour l'immatériel, on trouvera toujours une niaise approbation par un hochement de tête, un silence complice ou une confirmation faussement pudique et néanmoins ravageuse.

Son circuit de diffusion est éprouvé et diaboliquement efficace, la victime en a peur, les tentatives de s'en prémunir sont, d'emblée, vouées à l'échec en dépit de la nullité de l'assertion.

Vouée à l'hégémonie du palabreur, la victime peut aller jusqu'à verser une dîme pour le rachat de «révélations»... Un authentique racket. On réveillera, au besoin le voisin couche tôt pour le mettre au «parfum»; l'organe mandibulaire n'arrive pas à contenir le «tuyau», dès que la «chose» est régurgitée, on se sent mieux, un soupir d'aise évacue les tréfonds nauséabonds. Omniprésente, elle démange, on en use en tout lieu; dans les cérémonies funéraires, elle ne fait preuve d'aucune retenue. Dès la première morgue présentée aux proches, on s'agglutine en petits groupes palabreurs, on en oublie le lieu et la circonstance jusqu'aux éclats de rire. On semble reprocher au disparu sa défection du cercle.

Il existe un ubuesque palabre propre aux retraités de la fonction publique. Assis souvent à l'ombre d'un immeuble, généralement la poste ou la mairie, on «casse du sucre» sur le dos de la jeune génération: «Nous à l'époque... nous n'étions que deux, le receveur et Moi... je faisais le guichet et je distribuais le courrier. Maintenant à dix, «ils» ne font pas le quart de ce que Nous faisions! Ah... j'allais oublier, Mme Armond, la femme du receveur nous ramenait du café chaud avec une goutte de cognac, en hiver, et une citronnade fraîche en été. C'était la belle époque... enfin c'est comme ça maintenant!»

Sur les terrasses de café, la palabre est là, l'oeil vigilant guette tous les mouvements. Cette femme qui passe son chemin, emmitouflée pourtant dans son voile, melhefa ou djelbab, se guidant avec l'unique oeil «valide» ou à travers la voilette, ne passera pas saine et sauve; elle sera jaugée, souspesée, toisée et enfin identifiée. Ce dernier facteur est important, ça permettra de palabrer sur le père, la mère, le frère ou le mari. Elle offre beaucoup d'axes de «travail». On peut savoir en une seule séance de dissection, qu'elle est enseignante et qu'elle vient d'avorter. Son ex-mari a déjà pris femme, qui n'était autre que sa propre amie. Si elle est inconnue par l'entourage, l'hôpital ou le cabinet médical, la fera découvrir à l'entourage immédiat; le diagnostic pathologique est fait, bien avant le médecin qui l'a suspecté.

La palabre est contagieuse, elle se transmet d'un groupe humain à un autre, elle fait partie des «maladies à transmission aérienne», elle a un caractère grippal à véloce diffusion. L'individu et les groupes ne s'en prémunissent pas, et pour cause, il n'existe pas de vaccin. Ils s'exposent ostensiblement pour être mieux contaminés à l'effet d'en être les relais actifs. Elle jouit de beaucoup de terrains de démonstration, les paliers d'immeubles et les cours collectives sont ses aires d'exercice. Le voisin, pour peu qu'il montre une certaine réserve ou est carrément rétif, fera l'objet d'une observation attentive et sans répit. Mis sous l'objectif grossissant, cet être «étrange», fera l'objet d'une observation permanente, persévérante et suspicieuse approfondie, à l'effet de connaître ses moeurs. On lui prêtera des us mystiques, paranormaux ou même démoniaques; il ne faut surtout pas laisser les enfants à sa portée. On n'a jamais vu sa femme, raison suffisante pour l' épier, le guetter et le placer sous la mire; tout le monde s'y mettra, même les enfants. Malheur à lui, si un jour par mégarde, il commet un impair. Son parcours historico-social sera sur la place publique, en moins de temps qu'il n'en faut pour présenter des excuses.

La palabre de haut niveau, est observée dans les cercles communément reconnus comme scientifiques. Dans certains cabinets médicaux, d'exercice libéral ou public, la palabre peut se pratiquer au lit du malade. On échange des avis en jargon médical, croyant fermement que le malade n'y comprend rien. D'une docte affectation, on fait le reproche au malade de s'être adressé au confrère incompétent, manière policée d'éviter le vocable «charlatan». Dans l'imagerie médicale, on ne s'embarrasse pas de donner un cours «magistral» à son blanc bec de confrère avec une foultitude de détails anatomiques et pathologiques, en présence du patient interloqué. Ce dernier qui n'est certainement pas attardé mental, assiste avec effarement à une palabre «scientiste» dont il est exclu. Il sera amené à penser dans son for intérieur, qu'il doit s'agir d'un autre cas et pas du sien, en toute apparence.

Quant à la palabre entre personnel soignant, il vaut mieux ne pas s'y étaler. Il est, toutefois, nécessaire d'en citer quelques spécimens: tel que celui de l'infirmière qui rapporte «texto» au malade ce que lui a dit le médecin en aparté, ou ce qu'a exprimé un malade sur la qualité du service, au médecin.

Ce malade risque de faire les frais de son «insolence» par son évacuation du service ou sa sortie par «guérison». Les méfaits de ce mode primitif de communication qui négativise tous les rapports interhumains, est en phase de remplir tous les espaces, même ceux qui se prévalent d'élitisme. Que dire alors des charretiers? On pourra palabrer à l'infini, il est prouvé physiologiquement que la langue est le seul organe doté de la capacité d'aller dans tous les sens... sans subir d'entorse, ni d'enflure!




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