Algérie

La Paix Romaine en Algérie



Si mince que nous paraisse aujourd'hui cette armature de sécurité, elle suffit cependant pour assurer à l'Algérie pendant des siècles le bénéfice de la paix romaine. Le trait essentiel est la romanisation des populations africaines. Cette romanisation, qui fut poussée très loin dans les régions de plaines de la partie soumise, se réalisa de plusieurs façons.

Un de ses agents les plus efficaces fut l'armée. Dès l'origine la Tertia Augusta amena à sa suite des mercantis déjà formés à la vie romaine; puis, suivant la politique en honneur dans tout l'Empire, des légionnaires recrutés sur place remplacèrent les Gaulois, qui au début avaient composé la Légion. Il en fut de même plus tard pour les auxiliaires. La colonisation des confins militaires trouva dans les anciens soldats de précieux pionniers. Ces volontaires, qui servaient 25 ans, et pouvaient se marier, touchaient une retraite et recevaient des terres elles-mêmes exemptes d'impôts à la condition que les fils fussent militaires à leur tour.

A l'intérieur, le principal moyen de romanisation fut la hiérarchie des droits variés conférés aux cités et aux individus. Les villes nouvelles (Thamugadi, Lambèse, Mascula, Bagai, Diana Veteranorum, Gemellae, etc ... ), des villes anciennes furent dotées plus ou moins vite de l'organisation municipale, latine ou romaine, l'accession à l'échelon supérieur étant considérée comme une récompense très enviée.

Les particuliers pouvaient eux aussi s'assurer des privilèges toujours croissants : le titre glorieux de citoyen romain n'en marquait pas le terme. L'aristocratie formée dans les magistratures locales fut admise peu à peu à exercer les grandes fonctions romaines. Un habitant de Cirta devint consul sous l'Empereur Titus. Par la suite, un nombre important de ses compatriotes siégèrent au Sénat. Dès le début du IIIème siècle, Macrin, originaire de Caesarea, devint empereur.
Cette accession au droit de cité et de citoyen romain avait comme base la langue. Le latin fut accepté, au moins dans les villes, avec la même facilité que l'avait été auparavant le punique. Avec lui s'intronisa le culte de Rome et des Empereurs, fondement moral de la puissance impériale; en même temps l'ancien Baal Hammon se confondit avec Saturnus Augustus et même avec Jupiter Optimus Maximus, et d'autres cultes romains furent acceptés (la Victoire, la Fortune, la Paix). La facilité avec laquelle ces différents cultes s'ajoutèrent aux cultes anciens, ou se confondirent avec eux, permet de mesurer par comparaison la transformation que la conquête musulmane a fait subir à l'âme algérienne.

L'adoption du latin à une époque où Rome possédait une langue classique complètement formée fut un puissant agent du développement cultuel en Algérie. Dans les villes s'établirent des écoles où l'on étudia les grands auteurs grecs et latins : en tête de ceux-ci, comme dans tout le monde romain, Virgile. Certaines cités furent célèbres comme centres intellectuels. Tel fut le cas de Madaure et de Cirta. La future Algérie et la future Tunisie (Césarienne, Numidie, Proconsulaire) fournirent de nombreux médecins, de nombreux légistes, surtout de nombreux littérateurs.

Beaucoup de ceux-ci vinrent tenter la fortune à Rome. Le plus célèbre d'entre eux fut Apulée, né à Madaure. Saint Augustin, avant sa conversion, enseigna la rhétorique à Rome et à Milan.

Dans le domaine de l'art, les Africains romanisés rivalisèrent avec les autres peuples soumis à Rome. Ils ne semblent pas, d'ailleurs, avoir apporté rien de nouveau, ni d'original. Toutes les richesses artistiques de l'époque romaine retrouvées sur le sol algérien relèvent du goût hellénistique de l'époque. Du moins attestent-elles le niveau élevé de civilisation atteint par les Africains. Les ruines de Timgad et plus encore peut-être celles de Cuicul (Djemila) en sont d'éloquents témoins.

Le développement de la culture latine en Algérie favorisa, comme dans le reste de l'Empire, celui du christianisme. Au commencement du IIIème siècle, on signale la présence d'évêques de Numidie dans les Conciles tenus à Carthage, celle d'évêques de Maurétanie au Concile de 256; six ans auparavant un concile s'était tenu à Lambèse. La future Algérie fournit de nombreux martyrs dans les persécutions, notamment, de Valérien et de Dioclétien. Et, dès le moment où la conversion de Constantin assura l'appui officiel au christianisme, celui-ci connut une floraison considérable en Algérie.

Cette contrée vit naître des pères de l'Église, dont le plus illustre, saint Augustin, évêque d'Hippone (Hippo-Regius), fixa la langue théologique et mystique du christianisme. Ses idées ont été exploitées non seulement par l'Église elle-même, mais encore par beaucoup de ceux qu'elle a condamnés comme hérétiques. La puissance des chrétiens d'Afrique, ainsi que leur attachement au latin, est marquée par le fait que ce sont eux qui l'imposèrent comme langue liturgique à l'église d'Occident.

Païenne ou chrétienne, grâce aux bienfaits de la paix romaine, l'Algérie connut une prospérité qu'elle ne retrouva pas avant de longs siècles. Quand on songe à ce qu'était l'Algérie turque, on a peine à croire que l'Afrique du Nord ait pu fournir à Rome la moitié ou les deux tiers de son blé, et même la totalité après la fondation de Constantinople.

La différence est si frappante qu'on s'est demandé s'il n'y avait pas eu changement de climat. On peut affirmer qu'il n'en est rien, et que la prospérité romaine était due simplement à ce que nous appelons aujourd'hui une politique de l'eau singulièrement efficace. Depuis l'époque romaine, le régime des eaux a été modifié par les déboisements qu'ont entraînés les dévastations provenant des invasions successives. Surtout on a laissé se dégrader des travaux hydrauliques qui avaient été réalisés non pas à la diligence du gouvernement central, mais sur l'initiative des Cités (dont le territoire comportait normalement une banlieue étendue) et des particuliers, des grands propriétaires. La distribution de l'eau avait été l'objet de soins particuliers, et elle était soumise à une réglementation précise empêchant le gaspillage et l'abus.

En même temps que la culture du blé, s'étaient développées celles de la vigne, de l'olivier, de l'amandier, du figuier, encouragées par des exemptions d'impôts et dans certains cas par la concession d'un droit de propriété héréditaire. L'élevage était aussi très florissant, celui du mouton, du boeuf, et surtout celui du cheval. La petite histoire enregistre des victoires de chevaux algériens sur les hippodromes de Rome; ce qui apporte une confirmation à la théorie suivant laquelle les étalons barbes, loin d'être des descendants du cheval arabe, ont au contraire contribué à lui donner sa valeur.

Lés différentes parties de l'Algérie étaient reliées entre elles par des routes telles qu'en avait construit Rome dans toutes les autres parties de son Empire. Nées de la conception stratégique qui cherche la sécurité dans le mouvement, ces voies de communication servaient également au commerce. On en comptait trois principales allant de l'Est à l'Ouest et complétées par des rameaux détachés et des rocades parallèles. Ce réseau suffisait parfaitement aux besoins de l'époque.

Bref, l'Algérie romaine se présentait comme une contrée riche, peuplée, civilisée. Son plus beau moment se place dans les dernières décades du deuxième siècle et dans la première moitié du troisième.



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