Comme chaque
matin, se tenant debout, elle tente de regarder le monde en s'aidant des mains
pour ne pas être éblouie. Elle remarque que le soleil est de plus en plus
difficile à supporter. Est-ce à cause du changement climatique ? Est-ce à cause
des espoirs insensés qui prennent le chemin du ciel ? elle ne sait pas. Elle ne
sait plus, à vrai dire ! Elle tente de pousser un cri mais aucun bruit ne sort.
Depuis qu'elle
est là, elle ne s'est jamais sentie aussi mal à l'aise que ces derniers temps.
Il lui arrive souvent, trop souvent même, de croire entendre les cris des
peuples. Des voix affaiblies lui arrivent à longueur de journée, des plaintes
étouffées envahissent ses nuits et elle respire au rythme d'interminables
soupirs qui semblent jaillir des entrailles du temps, comme de mauvais
souvenirs qui la rattrapent, comme une conscience qui veut se repentir. Mais ce
qui l'incommode le plus c'est cette odeur chaude qui, elle ne sait pas
pourquoi, lui rappelle le sang.
Elle sait que les
peuples ne la haïssent pas. Elle sait aussi qu'ils ne l'aiment plus. Plus comme
avant en tout cas. Et pas comme elle est. Elle le sait, et cela lui donne un
drôle de pincement quelque part… la démocratie, puisque c'est d'elle qu'il
s'agit, ne sait plus quoi faire. Elle traine depuis longtemps déjà un sentiment
de culpabilité qui lui empoisonne les jours. Elle ne sort le matin que pour
essayer de comprendre ce que disent toutes ces voix qui meublent son temps. Qui
lui arrivent de partout et dont elle ne comprend pas le sens.
Pourtant, et elle
s'en souvient encore, on lui avait dit qu'elle allait être aimée, chérie,
portée aux nues… parce qu'elle n'était conçue que dans le but d'aider les
faibles, les oubliés et le petit peuple, de manière générale, à faire entendre
sa voix et à donner son avis sur ce qui le concerne. On lui affirmait qu'elle
allait être adulée par les minorités qu'elle défendait et par la majorité
qu'elle seule était capable d'enfanter. Aujourd'hui elle a comme le sentiment
d'avoir été flouée, pervertie au point de ne ressembler qu'à un long et
ennuyeux mensonge bricolé puis détourné, debout et à la va-vite, par les
voleurs et les charlatans de l'humanité.
Elle sourit à
l'idée qu'on avait conçu, rien que pour elle, des élections. Cet accessoire qui
devait l'aider à accomplir sa tâche. Une sorte de bâton de Moïse, de bague de
Salomon… un bâton de pèlerin, quoi. et sur lequel elle devait s'appuyer pour
accomplir son miracle… Avec le temps, et après toute une vie, elle comprit le
subterfuge. A des élections on peut faire faire ce qu'on veut. Les élections du
matin diffèrent de celles du soir. Le vote du Nord n'a rien à voir avec celui
du Sud. Les consultations hivernales ne ressemblent en rien à celles
automnales. Voter pour vivre est tout à fait différent de voter pour mourir…
Elle ne savait pas qu'il y a mille et une manières d'utiliser un accessoire
malléable à souhait et flexible à volonté. Certains excellent tellement dans sa
manipulation qu'ils n'hésitent pas à inscrire dans les constitutions de leurs
pays, et contre toute logique, la possibilité de prétendre un nombre illimités
de mandats. A plus de 85 ans, c'est-à-dire à zombie moins un, certains sont en
train de briguer un mandat quelque part. même la démocratie en ressent une
honte et ne peut que baisser les yeux. A bien réfléchir, maintenant elle se
rend compte que la plupart des gouvernants ne proviennent jamais de la majorité
écrasante qu'est la jeunesse, mais plutôt de cette minorité de vieillards
malades et presque séniles. Elle ne comprend pas par quel tour de main, et
grâce à elle, c'est toujours la minorité qui gouverne alors qu'on lui avait
fait croire le contraire. Comme quoi un bâton, même lorsqu'il est de pèlerin,
c'est un bâton et il peut bien servir de bâton de sorcière !
De toute façon,
ce n'est pas la première fois qu'elle en ressent de la gêne. Il lui est arrivé
de faire sortir les gens dans la rue pour dire leur aversion pour la guerre,
pour l'injustice, pour le mépris et à chaque fois les peuples ont été regardés
comme on regarde des irresponsables ou des aliénés.
Toutes les
guerres n'ont eu lieu que grâce à des mensonges. Tous les génocides aussi. La
colonisation sur laquelle est bâtie l'actuelle supériorité de certaines
contrées n'a été possible que grâce au mensonge. Les élections, presque toutes
et partout, sont emballées dans le mensonge et la perversité. Et si c'est un
noir qui les emporte, pour la première fois, c'est pour rendre le mensonge
encore plus comestible à ceux auxquels on en sert chaque jour dans les plats
roués de la République !
La démocratie
sait à quel point ils lui ont fait faire des atrocités. Au Vietnam, elle
avançait Napalm en main, en Irak elle dansait sur les tourelles des chars, et
récemment en Lybie elle pilotait des bombardiers lorsqu'elle ne lançait pas des
missiles… En son nom, des innocents sont assassinés sur tous les continents,
les pires des exactions sont constamment commises et les plus incroyables des
écarts sont consentis. Pour propulser sa propre démocratie, tout est bon et
tout passe. Et peu importe si, chemin faisant, on s'en va de nuit tirer sur des
gens, de paisibles afghans qui dormaient insoucieux, loin de se douter de ce
que la démocratie peut être capable d'enfanter !
Les couloirs
sombres de l'hôpital nauséabond de l'humanité deviennent exigus devant le
nombre de malformations congénitales. Et elles ont, pour la plupart, quelque
chose à voir avec la démocratie. Il y a ses enfants illégitimes, certes, mais
aussi et surtout ses vices et ses victimes. Tous ces enfants irradiés ici et
là, brûlés là et ailleurs, et que certains appellent sans pudeur des « dommages
collatéraux » sont portés au registres des crimes commis, avant tout, au nom de
la démocratie. Cette démocratie qui, maintenant, se trouve piégée par ses
concepteurs. Et qui ne peut que regarder le monde, tout au plus, en réajustant
ses sous-vêtements tâchés.
Elle ne peut rien
contre ceux qui l'ont conçue. Elle ne peut qu'acquiescer ou se suicider. Et
même le suicide ne lui est permis que sous conditions. Alors, elle doit se
taire ou s'exploser, et elle a fini par opter pour le silence... de toute
façon, et pour être sûr qu'elle ne pourra jamais rien dire, ses concepteurs lui
ont coupé la langue dès le premier jour… Depuis, elle sort chaque matin pour
tenter, en vain, de comprendre ce que les voix essaient de lui dire depuis le
fin fond des temps…elle essaie de pousser un cri mais n'arrive rien… Jamais il
ne sortira rien de la bouche de la démocratie. Les gens, les petites gens bien
sûr, continueront longtemps à se demander le matin, devant leur miroir mal
essuyé, s'il s'agit d'une véritable frustration de n'avoir jamais pu se prendre
en charge, ou simplement d'un fantasme refoulé. En tout cas, il leur arrive, de
temps en temps, de croire percevoir quelques faibles cris, surtout le matin, et
quelque chose leur dit que ce sont là les cris que la démocratie voudrait bien
pousser... mais déjà dire qu'on entend des cris, c'est mal vu, si en plus on va
prétendre que ce sont ceux de la démocratie… Alors mieux vaut tout garder pour
soi… Comme quoi il y a des choses où tout est silence !
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 12/04/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Aissa Hireche
Source : www.lequotidien-oran.com