Algérie

«La nuit du henné» de Hamid Grine Bas les masques !



Hamid Grine s'installe dans le roman et commence à s'y sentir chez lui. «He feels at home», diraient les Anglais. Rien de mieux qu'un écrivain qui évolue, audacieux explorant toujours de nouveaux sentiers, allant vers l'inconnu, titillant le verbe et les événements - sans les forcer - les laissant évoluer à leur grè, les suivant du regard, de l'âme, les vivant avant de les transcrire, à fleur de peau ou avec détachement. Dans son dernier roman, «La nuit du henné», Hamid Grine nous parle d'une Algérie socialiste qui veut en finir avec une époque, une phase de transition qui aura duré plus de 10 ans. En fait, l'auteur plante un décor très particulier et y sème des personnages hauts en couleur, dans un décor où plusieurs générations se côtoient : une femme au foulard et aux tatouages -le passé ou les restes d'une époque - un père, à cheval entre deux temps, Mâamar Hbak, plein de contrastes, digne représentant à lui seul de toute une génération... Et puis il y a Jade, une pierre précieuse hors de son écrin, tout en lumière. Ecrivain de son temps, Hamid Grine ne décortique le passé que pour mieux expliquer ce qui a changé depuis. Point de nostalgie, mais des souvenirs sous une loupe très critique mais non déformante. A dire vrai, «La nuit du henné», après «La dernière prière» nous surprend. Il surprend par un thème central que peu d'écrivains algériens ont osé s'aventurer dans ses dédales : la superstition. On y découvre une analyse psychologique très poussée des personnages, avec un espace et un temps revisités, le tout sur un ton d'humour, de compréhension de la nature humaine et, surtout, d'indulgence. A travers cette «psychanalyse», Grine tente de percer les mystères du conscient et de l'inconscient des êtres, à travers leurs manifestations de joies et de peines et, surtout, de superstitions où tout s'entremêle. Mais à propos des années 80, Hamid Grine réussit à titiller les souvenirs de ses lecteurs, d'une manière assez «brechtienne», d'ailleurs. Il réussit, en effet, à faire participer le lecteur dans son roman, en excitant ses souvenirs vis-à-vis d'une certaine époque et de certaines croyances. Le lecteur se retrouve plongé dans le roman avec un double intérêt, d'abord le plaisir de la lecture, ensuite celui de se retrouver dans des pages... imprimés au henné, sachant que ce qu'il lit, il l'a déjà vécu, ressenti, pensé... C'est là une technique de journaliste que Hamid Grine a utilisé. Il sait très bien qu'un article réussi est celui où un lecteur se retrouve. Les oeuvres fantastiques excitent l'imagination, les oeuvres réalistes ravivent les souvenirs et poussent à la réflexion. Mais pourquoi donc le henné ? Hamid Grine parle de masques dans son roman, des masques trompeurs, dissimulateurs. Le henné est déjà trompeur : vert au départ, rouge à l'arrivée ! L'auteur nous mène-t-il en bateau ? En réalité, «La nuit du henné» est l'histoire d'une supercherie, l'histoire de superstitions et de masques. Et quand masque il y a, c'est la vérité qu'on tente de dissimuler. Un masque pour chaque occasion. Mâamar Hbak en est truffé, jusqu'à en perdre l'âme, ou l'identité... Grine dévoile les masques et dénude ses personnages. Si réels au demeurant. Mais l'homme masqué, ce n'est pas forcément Zorro, le redresseur de torts, c'est son anti-thèse. En fait, «La nuit du henné» est une histoire brodée sur un tissu de superstitions, ornée de masques bariolés: allez Freud, essaie de comprendre quelque chose ! Pour Hbak, les masques ont la valeur de masques à oxygène, il ne peut vivre sans eux, il suffoquerait par sa nudité, sa simplicité, l'absence de merveilleux qu'il recherche, des rôles à jouer dans son subconscient friand de mystères en tous genres. Il ne le savait peut-être pas, ou hésitait à l'admettre, Grine était destiné au roman, inéluctablement : les ingrédients étaient déjà là, dans ses oeuvres pré-romans. Mais ces oeuvres étaient aussi, en quelque sorte, des romans. Si nous prenons, par exemple, «Comme des ombres furtives» ou «Cueille le jour avant la nuit», les personnages et leurs parcours sont autant de personnages de romans, des tranches de vies tirées du réel. Mais qu'est-ce qu'un roman, si ce n'est des tranches de vies romancées ? Bien sûr, il y a la part de la fiction et du réel dans une oeuvre, mais elle ne défait en rien le romanesque d'une histoire. Certains disent que la créativité, l'inventivité, est dans la fiction. Partir de rien et arriver à une oeuvre complète, rien qu'avec la force de l'imagination. Mais l'idée prend toujours son départ du réel. Et le réel frise parfois l'insolite, voire le fantastique. Et puis, question «courant», c'est surtout le style qui prime le plus. Par ses portraits et ses biographies, Grine racontaient les histoires des autres. Et, tout bêtement, un roman raconte, d'abord, une histoire. Reste maintenant les artifices et tous les petits détails qui font qu'un roman est différent d'un récit. Tout est histoire de dosage, en vérité. Entre un portrait dans «Comme des ombres furtives» et le personnage de Mâamar Hbak de «La nuit du henné», qu'y a-t-il de différent ? L'un est réel, l'autre réaliste. Le premier est raconté, le second se raconte dans les dialogues, monologues et autres rêves.


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