Algérie

La nouvelle poésie algérienne portée dans la langue de Shakespeare



La nouvelle poésie algérienne portée dans la langue de Shakespeare On cite souvent en référence, comme s’il n’y avait, en la matière, que ces ouvrages-là, «Anthologie de la nouvelle poésie algérienne», présenté par Jean Sénac, et paru en 1971, ou «Jeunes poètes algériens» présenté par Jean Déjeux en I981, ou encore «Les mots migrateurs», livré par Tahar Djaout en 1984; mais, il faut dire que les anthologies (ou numéros spéciaux de revues qui s’y apparentent) consacrés à la nouvelle poésie algérienne d’expression française -exclusivement la poésie-, ont été très nombreux, en réalité.Les événements sanglants qui ont mis l’Algérie au devant de la scène mon- diale ont pu accroître l’intérêt qu’on lui portait déjà; et la fréquence de parution de ce genre d’ouvrages la concernant a suivi. Peut-être est-ce parce que la poésie, bien que marginalisée ici et ailleurs, demeure, aux yeux des analystes, un mode d’expression directement révélateur de ce qui préoccupe, habite, ce qui hante une société dans son affect et son imaginaire. Cet intérêt renouvelé va nous seulement donner naissance à de nouvelles anthologies en langue française mais aussi suscité l’envie de rapprocher cette poésie des lecteurs non francophones. Aussi des éditions bilingues vont-elles voir le jour à partir de 1990. Rappelons que jusque-là, on en recensait principalement deux: Pais de larga pena anthologie bilingue (français-espagnol) présentée par Mohamed Ben Melbkhout(1979), et Le rose del deserto,(français-italien), sous la direction de G. Toso Rodinis(1982). Cette année, cette nouvelle poésie algérienne s’offre à lire au public anglophone, notamment américain, puisque le Centre d’études des littératures et des arts d’Afrique du Nord lui consacre un numéro spécial de sa revue, sous forme d’anthologie bilingue (français-anglais). Des poésies de 25 poètes, dont El-Mahdi Acherchour, Ouahiba Aboun Adjali, Nabil Farès, Hafid Gafaiti, Amine Khan, Hamid Skif, Hamid Tibouci, Habib Tengour, Mohamed Sehaba, Tahar Djaout, Mohammed Dib, Jean Sénac sont portées dans la langue de Shakespeare grâce à des traductions de Hédi Abdel-Jaouad, Marc-André Wiesman, Eric Sellin, Marc Woodwortch, Barbara Louise Ungar et d’autres. Confectionner une anthologie c’est planter des repères; baliser les constantes, offrir des illustrations ce qui pourrait être des voix (ou des voies) personnelles. Mais cette entreprise, comme ce fut le cas ici, ne se mène pas sans une certaine subjectivité, malgré tout; et sans être déterminée par les aléas de l’information, des rencontres et de la disponibilité des textes. Les auteurs de l’ouvrage ne nous contredisent pas dans leur avant-propos. Il est évident cependant qu’ils ont voulu faire de cet échantillon de poésies un lieu où se croisent les voix de différentes générations et de valeurs -évidemment- inégales. Et à quelques exceptions près, ils ont privilégié les productions récentes, c’est-à-dire celles parues dans le sillage des événements tragiques qui ont ensanglanté l’Algérie-le but, on s’en rend bien compte, n’est pas d’en faire un sujet de choix (si tant est qu’il existe un sujet en poésie). Dans les deux préfaces, l’une en français (de la plume de Hédi Abdel-Jaouad) l’autre en anglais reprenant les mêmes idées que la précédente (par Marc-André Wiesman), on trouve consignées les grandes phases qu’a connues cette poésie ainsi qu’une appréciation sur l’essentiel de ses aspects nouveaux, certains déjà relevés par les présentateurs d’anthologies précédentes, mais dans l’ensemble perçus ici dans une autre globalité et à la lumière de données nouvelles. Aussi pouvons-nous lire: «Nous découvrons avec ces poètes de nouveaux thèmes (revendication du moi, de l’amour sans culte ni hypocrisie, une liberté couleur d’homme) et d’autres lieux d’énonciation (Hollande, Allemagne, Belgique) qui confirment ce glissement remarquable de l’expérience individuelle vers une dimension humaine universelle, un autre gage, s’il en est besoin, de leur foi en la possibilité d’une humanité unifiée et irréductible. Si ces poètes, au sens le plus large et le plus noble du terme, tous témoins privilégiés d’événements historiques dramatiques, s’interrogent sur les questions fondamentales de notre époque, ils le font avec nuance, subtilité et humour». Connus ou moins connus donc, jeunes ou moins jeunes ou encore aujourd’hui disparus, résidents en Algérie ou faisant partie de ce qu’on appelle la diaspora algérienne à l’étranger, c’est un ensemble très diversifié de poètes et autant d’univers et de démarches poétiques qui nous est proposé dans cet ouvrage. Et, d’un poète à l’autre, voire d’un texte à l’autre, les préoccupations du dire, les inspirations diffèrent; et les marques d’une appartenance nationale ou littéraire sont diversement reconnaissables- quand ici ou là elles gardent corps, car souvent fondues jusqu’à n’être qu’un souffle dans l’humain, un souffle levé d’une contrée de mémoire, d’âme tout court. D’une manière générale, qu’ils manifestent ou non un quelconque attachement à une culture ou à une tradition, les poètes retenus ici sont tous ouverts à l’universalité, à «une humanité plus grande» ou encore, comme l’écrivait, en 1984, le regretté Tahar Djaout à propos de certains d’entre eux, «ce que ces poètes ont en commun lorsqu’ils accordent une grande attention aux phénomènes de culture, c’est qu’ils les prennent non pas en tant que somme de savoir mais en tant que possibilités supplémentaires d’éclairer et de questionner notre vécu». Mohamed Sehaba


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