Algérie

La nouvelle carte est-elle à dessiner '


La nouvelle carte est-elle à dessiner '
Pas trop vite le matin, doucement le soir... Tariq Téguia, en artiste accompli, nous présente dans un chassé-croisé initial son film. Le tout est d'abord filmé dans les méandres d'une ville du Sud, on saura par la suite grâce à un dialogue confus qu'il s'agit d'une partie du M'zab qui est en pleine émeute.Le gars, habillé comme dans les années 1970, béret vissé sur la tête, barbe d'anarchiste un peu plus à gauche du PAGS, est un peu l'alter ego de Tariq.On le sent journaliste. Il l'est. Par la suite, dans un immense albumphoto, signé Nacer Medjkane et Hacène Aït-Kaci, les compositions filmiques se suivent. Doucement, mais sûrement, le réalisateur connu pour son côté iconoclaste «godardien » nous livre une oeuvre qui fait un clin d'oeil à Farouk Beloufa, trente ans après. Juste au moment où l'on pense avoir deviné la correspondance, dans un malin tournant du dialogue, le héros du film appelle sa copine «Nahla». Ce héros, parlons-en, il s'agit d'Ibn Battutâ, il est journaliste dans un quotidien algérien. C'est un banal reportage sur des affrontements communautaires dans le Sud algérien qui le conduira sur les traces de révoltes oubliées des opprimés et des laissés pour comptes du 8e au 9e siècle sous le Califat abbasside en Irak. Une phrase énigmatique d'un des émeutiers donnera l'origine de cette aventure. Pour les besoins de son investigation qu'il voudrait réaliser en Irak, sur la trace de ces fameux «Zounoudj» révoltés, il se rend à Beyrouth, ville qui cristallise alors toutes les luttes et les espoirs du Monde arabe... Fethi Garès, Ibn Battutâ va s'évertuer dans ces pérégrinations à redessiner la carte politique arabe actuelle en écho à celle, plus géographique entamée par son prédécesseur déjà vers les années 1300. Bien-sûr, comme Tariq reste résolument contemporain dans sa manière de filmer, il usera et abusera des plans fixes de la caméra pour nous offrir une série de photos où l'action apparaîtra dans le champ. Le tout est donc construit sur très peu de mouvements de caméra, les travellings, panoramiques ou plans séquences laissent la place à des actions composées comme des tableaux photographique très plastiques, une performance esthétique dans laquelle se trouvent les protagonistes, un style Téguia non complaisant (on peut cela dit, le comprendre) qui dans certains plans ennuie le spectateur par des longueurs-langueurs souvent inutiles, Andy Warhol était déjà passé par là !!! Cependant, la beauté des plans, lamagie de la vie intégrée dans ces prises de vues, enchainées sur des notes prises caméra à l'épaule, le rythme des dialogues et la direction d'acteurs nous laissent palpiter au rythme du voyage «séculaire» qu'entreprend Ibn Battutâ intrépide reporter qui, en cherchant paradoxalement l'Université américaine, va rencontrer la symbolique de la nation arabe qui avance et qui, cette fois, n'aura pas une extinction de voix. La belleNahla, qui sauve un tant soi peu l'honneur en aidant les Palestiniens en exil, vit malgré tout dans Athènes qui couve une révolution, tant culturelle que révoltée, et qui, malgré tout, continue de vivre, et la symbolique du «Rebetiko» n'est pas en reste pour bien nous le signaler. Athènes, reste jeune par son théâtre expérimental, mais elle reste soudée à ses origines, par du «Rebetiko», joué dans les boîtes alternatives, bien joué pour Tariq Téguia dont on devine, sans lire sa biographie, qu'il a fait philosophie et touché aux arts-plastiques d'une manière ou d'une autre. Il y a aussi cette équipe de sept ou huit personnes à tout casser, avec laquelle le réalisateur travaille en lui confiant d'ailleurs plusieurs tâches. Outre des plans pris à la volée entre, je suppose, Brooklyn, le Queens, Athènes, ou Beyrouth, entre les images de Nacéra Saïdi, crédiblemais un peu lente sur les répliques d'une rédactrice en chef, laisse le clin d'oeil à Kiki, homme de théâtre dont le caractère facétieux est livré dans un exercice de comédie ironique sur les hauteurs d'Alger. Tariq Téguia travaille souvent avec une équipe qui le rassure, et c'est tantmieux, cela donne un filmbien réalisé, qui a trouvé écho dans la majorité du public qui attendait un filmpolitique, que l'on retrouve dans ces images accompagnées quand-même de portraits lucides, où l'on amême le cliché filmé d'Amerloques baptistes venus royalement prendre les restes d'un grand Sahara irakien avec ce mépris de limiter Baghdad à une simple production de poterie. Le réalisateur se venge, enfin, de ce soupçon de sionisme et de capitalisme, le projet tombe à l'eau et Ibn-Battutâ avec Nahla et ses pairs Palestiniens nous sauveront la face, en sautant sur le balcon d'en-face... Dans lemême ordre d'idées, le cinéaste que l'on commence à apprécier, nous livre son travail le plus abouti,malgré quelques accidents de parcours, comme des caméras à l'épaule un peu trop tremblantes sur deux ou trois plans courts heureusement. Un dialogue en «algérien» flagrant en classique, sur les mots d'un comédien censé jouer un Irakien. Cela laisse, somme toute, une oeuvre très intéressante, sur des thèses que l'on partage grandement. Le voyage se fera sur «Chott el ârab» aux bords du Tigre, avec une image d'espoir où l'on percevra que sans nul doute, les révolutionnaires sont encore là, même si l'aventure de notre terre promise à nous, spoliée par le sionisme ne peut même pas être approchée. La cavalcade entamée par Nahla, Ibn Battutâ et les leurs reste d'une grande tristesse. Le regard lucide, la relative jeunesse de Téguia sont un remède à cela, les images sanglantes ou en référence sont rassurantes, toutes les révolutions restent à faire. En ce qui nous concerne, «Révolution Zendj» est un film personnel estampillé Tariq et Yacine Téguia. Cette aventure dans le coeur des hommes, avec des étapes filmiques dans la quête de la dignité ou de la compréhension de ce qui nous arrive, est une belle thèse, composée comme une étrange partition photographique à dimension humaine, artistique très bonne à percevoir, avec sur la palette... des acteurs, dont le très bon Fethi Gharès, la sensuelle Diyanna Sabri et un casting avec Ahmed Hafez, Wassim Mohamed Ajawi, John W. Peake, Sean Guillette, Fadi Abou Samra, Ghassan Salhab, Amos Poe, sur une musique de Magyar Posse, Ash Ra Temple, Lena Platonos. Le montage étant de Rodolphe Molla. Le son a été confié à Abdelkader Affak et Kamel Fergani avec, aux décors, Heïdi Tsirogiannis et Michelle Braidy. «Révolution Zendj» est le troisième long métrage du réalisateur Tariq Teguia qui a déjà réalisé «Rome plutôt que vous» en 2007 et «Gabbla» (Inland) en 2008. Enfin, «Révolution Zendj» a remporté le Grand Prix Janine Bazin au Festival du film de Belfort en 2014. Production : Le Fresnoy, Neffa Films, Zendj, Mirrors, Captures. Le film est entré en compétition pour le 2e Festival du Cinémamaghrébin qui se tient actuellement à Alger.


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