Algérie

La nécessité de renouer avec la terre



La nécessité de renouer avec la terre
L'enfant d'Izeraguène (actuelle Erraguène) dans la wilaya de Jijel, l'écrivain, chercheur et journaliste Slimane Zeghidour était ce samedi au centre culturel islamique de Jijel.Il était en compagnie de Sofiane Abdellatif, de l'université d'Oran, pour discourir sur l'histoire et la sociologie du pays dans un style expurgé de tout académisme et avec un parler local, car, dira-t-il, «je voudrais parler comme un enfant qui revient chez lui», lors de cette rencontre organisée par l'association «Gloires, Histoire et patrimoine» de Jijel, en collaboration avec la commune d'Erraguène ; il nous fera voyager à travers des méandres de l'histoire de l'Algérie depuis la colonisation jusqu'à la période post-indépendance, dans un style simple jalonné de quelques haltes personnelles.L'orateur est revenu en premier lieu sur cette région qui l'a vu naître et les péripéties vécues durant la guerre de libération et même après l'installation de la famille à Alger. Des chiffres effarants relatifs aux populations des mechtas ayant été regroupées dans des camps par l'armée coloniale pour vider les lieux et couper tout soutien aux combattants de l'ALN. Premier déracinement ! Pas moins de 2,5 millions d'habitants issus de 16 000 mechtas ont été transportés vers 1000 camps de regroupement.Un déchirement, précisera-t-il, dont seuls les Palestiniens et les populations touchées par le conflit indo-pakistanais peuvent en mesurer l'étendue. En balançant le taux de seulement 14% d'enfants allant à l'école en 1954, il balaie, à l'occasion, d'un trait le mythe de l'école laïque durant la colonisation au profit des Algériens. Le réveil se fera à partir de 1954, mais il était déjà trop tard, indiquera-t-il. A l'indépendance, la déchirure n'a pas été réparée puisque les populations n'ont pas quitté les camps de regroupement pour revenir vers les mechtas. On retrouvait la ville.Deuxième déracinement ! Avec la construction du barrage d'Erraguène, se souviendra le conférencier, le village était doté de chalets pour les travailleurs, un héliport, une piscine, une boulangerie? Dès 1962, les chalets sont démontés en 24 heures et vendus pour ne laisser que des plateformes en béton qui subsistent d'ailleurs. Slimane Zeghidour ne manquera pas de mentionner qu'un de ces chalets, transformé en restaurant, se trouve toujours à? Tichy, dans la wilaya de Béjaïa. En l'absence de militaires et d'administration, et devant l'impossibilité de retrouver la mechta et la maison familiale qui n'avait plus ni porte ni fenêtres, le père se résigne à rejoindre Alger.DéracinementA 10 ans, le jeune Slimane qui a perdu des frères happés par la tuberculose découvre la capitale, la mer, l'automobile? Premier choc. Il ressent un racisme et un rejet des enfants du quartier qui refusent de jouer avec lui. «Ça a été, confessera-t-il, comme un vaccin, je ne me suis plus senti comme étranger nulle part dans le monde.» Pour le reporter de guerre qui a sillonné les points chauds du globe, l'histoire ne sert à rien si elle n'est pas faite pour en tirer les leçons.Le fossé qui sépare la paysannerie de la terre est une autre blessure sociale. Déraciné de la vie agricole durant la guerre de libération, le paysan a été une fois encore chassé des mechtas durant la décennie noire des années quatre-vingt-dix. Troisième déracinement ! Vidées, les mechtas, regrettera Slimane Zeghidour, se trouvent en 2013 dans la même situation qu'en 1962. Ces déracinements ont pour conséquence une relation du paysan avec la terre complètement laminée, au point où, dira-t-il, les produits agricoles ne sont plus produits localement.Il dira avoir été choqué de découvrir, lors d'un voyage sur la route reliant Sétif à Béjaïa, ce qu'il n'a jamais observé dans aucun pays du monde : des terres longeant sur plus de 3 km non cultivées. Sur les 111 km qui séparent les deux villes, il n'y avait que des herbes sauvages, du béton et des parpaings. Ni vache ni arbre !Se défendant de toute critique, il se contentera de dire qu'il constate que la relation avec la terre n'existe plus. Le problème du foncier a été aussi soulevé. Jugé être le plus cher au monde, l'orateur comparera la valeur d'un terrain nu de 200 m² vendu à Tixeraïne (Alger) pour l'équivalent de 100 000 euros, soit la valeur d'un deux pièces à New Yok, un trois pièces à Marseille, ou encore une maison en Espagne. L'impossibilité d'accéder à la propriété devant de tels prix accentue plus encore le déracinement.RurbanisationLa rurbanisation fait dire à l'orateur que nos villes ressemblent plus à des mechtas en béton. Cette ruralisation des villes, professera-t-il, a engendré la mentalité d'agriculteurs sans agriculture. La corde est coupée et pour rendre la relation avec la terre, il y va, préconisera-t-il, d'une volonté politique «non pas pour donner de l'argent, mais pour redonner vie à la campagne, à travers une démarche méthodique et un accompagnement avec des projets d'alimentation en eau et d'électrification afin d'établir une nouvelle relation moderne.»Abordant la crise identitaire, il regrettera que l'absence de consensus sur le sujet alors que des pays multiraciaux comme le Brésil où l'on retrouve des Portugais, des Italiens, des Palestiniens, des Allemands, des Noirs originaires d'Afrique, des Indiens et des Japonais arrivent à se réunir autour d'un sentiment national. «Deux générations de brassage, dira-t-il, ont permis de créer une nation fière et soudée.» Insistant sur la nécessaire autocritique qui est, affirmera-t-il, «le moteur du développement», il appelle à créer un climat de confiance et de concorde dans la société.«La racine essentielle n'est pas le passé mais le projet national», soutiendra-t-il avant de battre en brèche les composantes identitaires qui n'arrivent pas à faire consensus. «Si l'on ne prend que la berbérité, les Marocains et les Tunisiens sont aussi Berbères», précisera-t-il. C'est le projet qui fait l'identité nationale, lâchera-t-il, s'appuyant sur les cas des Etats-Unis qui sont arrivés à élire un Président noir dont le père était musulman, du Brésil avec une Présidente d'origine bulgare dont le père n'a pu avoir des papiers en France, ainsi que le numéro 2 du pays d'origine arabe.




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