«Une introduction à l'histoire coloniale de la France» chez l'édition La découverte en 2003, «La colonisation, la loi et l'histoire en collaboration» avec Claude Liauzu chez Sylleps en 2006. L'historien Gilles Manceron avait signé la postface du livre « Le 17 octobre des Algériens » de Marcel et Paulette Péju censuré, tenez-vous bien, en 1962 et enfin publié en 2011 chez La découverte. «Jean Jaurès, vers l'anticolonialisme. Du colonialisme à l'universalisme?» chez les petits matins, « Marianne et les colonies » chez encore La découvertes, « Harkis dans la colonisation et ses suites » écrit avec Fatima Bensaci-Lancou paru en 2008 chez l'édition de l'Atelier, et bien d'autres œuvres historiques? Notre interlocuteur né en 1946, faut-il le préciser, était vice-président aussi de la ligue des droits de l'Homme en France en tant que responsable du groupe de travail «'mémoire, histoire et archives »?. Nous l'avons sollicité ce week-end et il a bien accepté aimablement de répondre à nos questions pratiquement les mêmes que nous avons posées à son confrère l'historien et politologue Olivier Le Cour Grandmaison publié dans notre édition du samedi 19 octobre. Suivons-le : La Nouvelle République : 63 ans après que des Algériennes et Algériens sortis pourtant manifester pacifiquement à Paris lors de cette soirée sanglante, ont été, torturés, tués et noyés dans la Seine du pont Saint-Michel le 17 octobre 61. Vous qui avez écrit plusieurs livres là-dessus, quel regard portez-vous sur ce massacre honteux et indigne d'une France et de son slogan, Liberté, égalité, fraternité ? Gilles Manceron ; « Ce massacre est celui qui a fait le plus de victimes lors d'une démonstration désarmée dans toute l'histoire contemporaine de l'Europe occidentale, et ensuite il a été dissimulé par les autorités françaises pendant plus d'une trentaine d'années. Le préfet de police du département de la Seine à l'époque, Maurice Papon, n'en est pas le seul responsable, même si c'est lui qui a conditionné ses policiers pour les autoriser à tuer à volonté. Une partie du gouvernement, à commencer par le Premier ministre Michel Debré et le ministre de l'Intérieur, Roger Frey, a organisé cette répression violente pour contrarier la politique de négociations avec le FLN que le chef de l'Etat, le général de Gaulle, s'était résolu à mener dans la perspective de l'indépendance de l'Algérie. Mis devant le fait accompli, le général a d'abord exprimé de l'indignation mais il n'a absolument rien fait à l'encontre des responsables de ce massacre qui a fait probablement plusieurs centaines de morts parmi des civils désarmés qui protestaient simplement contre un couvre-feu discriminatoire et inconstitutionnel.» Mais on est bien d'accord que les violences contre les Algériens avait commencés bien avant cette date maudite. N'est-ce pas ?
« Les violences sont inhérentes à la situation coloniale, elles ont commencé dès le débarquement du corps expéditionnaire français en Algérie en juillet 1830 et la prise d'Alger. Aucune des promesses faites pour tenter de désamorcer la résistance à cette invasion n'a été tenue et différentes tentatives d'y résister par les armes ont eu lieu par la suite jusque dans les années 1850 dans différentes régions de l'Algérie. Le plus connu est le combat de l'émir Abd-El-Kader dans l'Ouest algérien, mais il y en a eu d'autres un peu partout, dont les guérillas conduites en Kabylie et dans l'Est par différents chefs appelés chérifs. Tous ont été vaincus, un à un, l'émir Abd-El-Kader étant conduit à se rendre en 1847 au prix de promesses qui, elles aussi, ne seront pas tenues par le régime de la Seconde République française. C'est ainsi que la France républicaine a commencé à oublier en Algérie les principes de Liberté, Egalité, Fraternité dont elle se réclamait par ailleurs » La loi proposée par certains politiques français(es) pour la restitution des restes des crânes des combattants tués au début de la colonisation française au 19ème siècle et conservés au musée de l'Homme à Paris n'a toujours pas vu le jour et toujours pas voté. Pourquoi selon vous ?
« Des restitutions ont eu lieu, grâce aux efforts d'Algériens de l'émigration et aussi d'anthropologues et historiens français qui ont partagé leur exigences. Mais, en effet, des restitutions symboliques comme des objets ayant appartenus à l'émir Abd-El-Kader n'ont pas pu avoir lieu en raison de l'absence de textes législatifs en France qui faciliteraient ces restitutions. C'est un combat légitime qui va dans le sens de l'aspiration à la Justice qui se manifeste au sein du peuple algérien et que soutiennent un certain nombre de citoyens français. Mais il y a aussi en France des courants idéologiques contraires, qui présentent la colonisation comme une « œuvre civilisatrice » et qui s'opposent à tout ce qu'ils qualifient d'« actes de repentance ». Des gestes forts de reconnaissance et de restitution sont pourtant nécessaires » La reconnaissance juridique du massacre du 17 octobre 1961 proposée par Jean-Luc Einaudi, Benjamin Stora, Olivier Le Cour Grandmaison et d'autres politiques et historiens n'a toujours pas abouti, pourquoi d'après-vous ?
« La nécessité d'une reconnaissance est de plus en plus portée en France par des villes, des associations et des syndicats. Les présidents de la République François Hollande, en 2012, et Emmanuel Macron, en 2021, ont fait quelques gestes, mais qui ne sont pas suffisants car il faut reconnaître que ce fut un crime d'Etat et qu'il doit être enseigné comme tel. Depuis l'indépendance de l'Algérie, les forces politiques françaises n'ont pas mené le travail d'explication nécessaire pour expliquer aux Français les crimes de la colonisation. Et de leur côté, les survivants ou les héritiers des colonialistes et des terroristes de l'OAS ont tout fait pour diffuser leurs idées racistes et de réhabilitation de la colonisation. Que réclament concrètement certains politiques, les collectifs, les enfants des victimes, les historiens qui se battent pour la mémoire de ces tueries en masse aux autorités Françaises ?
« Il faut que ces réalités soient reconnues par les plus hautes autorités de l'Etat et que l'Ecole les enseigne aux élèves d'aujourd'hui et de demain. Car la vision correcte du passé a un rapport avec la persistance des idées d'exclusion et de discrimination vis-à-vis de certaines parties de notre peuple. Il faudrait aussi que l'espace public ne soit plus rempli par des figures de la colonisation. Ou bien qu'on explique qui était réellement tel ou tel personnage représenté par des statues. Il faudrait un Musée d'histoire du colonialisme pour présenter cette histoire aux jeunes et aux moins jeunes. Et cela est nécessaire pour rendre justice aux héritiers de l'immigration coloniale mais aussi pour informer tous les autres Français » Des lobbys apparemment cherchent ces derniers temps à semer la haine entre la France et l'Algérie et la situation se détériore de plus en plus entre les deux pays. Résultat, le chef d'Etat algérien a rappelé son ambassadeur à rejoindre Alger et ce, depuis plus de six mois. Qu'en pensez-vous?
« Le temps que met le président de la République, Emmanuel Macron, à réaliser les demandes que contenait le rapport que lui a remis en 2021 l'historien Benjamin Stora est beaucoup trop long. Il a reconnu que le jeune Maurice Audin a été tué par les militaires français qui le détenaient et aussi que l'avocat Ali Boumendjel avait lui aussi été assassiné et ne s'était pas suicidé.
Mais ces gestes sont beaucoup trop rares et lents à intervenir. Il faudrait que la France reconnaisse que Larbi Ben M'hidi a été assassiné par les parachutistes français du sinistre Aussaresses. Et toutes les victimes de ce qu'on a appelé la « Bataille d'Alger » et qui était en réalité une grande répression de toute la population algéroise.
Le fait que ces décisions n'interviennent pas explique une partie de la détérioration des rapports franco-algériens. Même s'il y a aussi d'autres raisons » A Paris l'avenue du boulevard qui portait le nom du Maréchal Bugeaud au XVIe arrondissement longtemps contesté par les Parisiens et certains politiques Français est devenue depuis le 14 octobre dernier Boulevard Hubert Germain. Peut-on considérer cela comme une victoire symbolique en France ? « Oui, c'est une victoire dans notre combat pour la vérité. Le 14 octobre dernier la Ville de Paris a changé le nom de l'avenue Bugeaud qui portait ce nom depuis plus d'un siècle et la maire a expliqué qu'on ne voulait plus avoir à Paris des noms de lieux ou des statues de ce personnage sanguinaire qui ne méritent pas de figurer dans l'espace parisien.
Voici ce qu'il a écrit : « C'est peu de traverser les montagnes et de battre une ou deux fois les montagnards ; pour les réduire, il faut attaquer leurs intérêts. [?] Il faut [?] détruire les villages, couper les arbres fruitiers, arracher les récoltes, vider les silos, fouiller les ravins, les rochers et les grottes, saisir les femmes, les enfants, les vieillards, les troupeaux et le mobilier ». Mais ce changement de nom de cette avenue parisienne n'est pas suffisant : une statue de Bugeaud continue à figurer sur la façade Nord du Palais du Louvre, le long de la rue de Rivoli.
Et il y a des rues Bugeaud dans d'autres villes de France : Lyon, Marseille, Brest, Agen, Excideuil (dont il fut député) et Périgueux. Et il y a d'autres massacreurs coloniaux qui ont leur rue ou leur statue. Je me permets de vous poser la même question que j'ai posée à votre collègue historien Olivier Le Cour Grandmaison récemment lors d'un entretien exclusif même. « Je n'irai pas à Canossa » avait répliqué récemment le président de la République algérienne Abdelmadjid Tebboune à une question relative à une éventuelle visite à Paris devant la presse Algérienne.
Qu'en dites-vous de cette réponse du berger à la bergère ?
« Le fait que des décisions importantes françaises de reconnaissance des crimes coloniaux n'interviennent pas ou trop lentement explique une partie de la détérioration des rapports entre les deux Etats, la France et l'Algérie. Mais il y a aussi d'autres raisons à cette détérioration. Notamment le fait que la France se soit récemment écartée du point de vue du droit international sur la question du Sahara occidental » Un dernier mot peut-être pour conclure cette interview ?
« Il faut toujours avoir à l'esprit que les gouvernants sont une chose et les peuples une autre chose. En France, une grande partie de la population, quelle que soit son origine, ne partage pas les comportements de racisme anti-algérien ou d'islamophobie qu'ont certains de nos hommes et femmes politiques et certains de leurs électeurs. C'est leur point de vue qui, tôt ou tard, s'imposera. » Interview réalisée à Paris
par Hadj Hamiani
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Posté Le : 26/10/2024
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Rédaction LNR
Source : www.lnr-dz.com