Algérie

«La musique, c'est la langue du monde»



«La musique, c'est la langue du monde»
Bien que traînant derrière lui une carrière de plus de trois décennies, Takfarinas continue à proposer une musique de qualité mais surtout très au goût du jour. Preuve en est, ce double album, sorti il y a quelques jours et qui, déjà, cartonne très fort. Rencontré lors de son récent séjour à Alger, Takfarinas s'est livré, dans une discussion à bâtons rompus, sans chichi ni fausse modestie. A la manière des grands artistes. Lisons.
La Nouvelle République : On s'attendait à un album mais on a eu droit à une double surprise, ce qui n'est pas fait pour nous déplaire. Mais ce sont deux albums totalement différents. On a l'impression que vous les adressez à deux publics distincts. Est-ce le cas ' Takfarinas : Non, un même public peut vouloir danser, bouger ou encore simplement écouter et méditer. On peut chanter pour la tête, le c'ur, les tripes aussi, comme on dit en kabyle «thassa», pour vibrer. Donc l'être humain a, parfois, besoin d'être touché dans son c'ur, de réfléchir à certaines questions importantes, comme il a aussi besoin de rythme pour danser et se défouler. Généralement, on écoute la musique quelle qu'elle soit, à condition qu'elle soit bonne. La musique, c'est la langue du monde. Les paroles de vos albums sont très fortes, très profondes. Un torrent d'émotions et de sentiments se dégagent des textes. Dans quelles dispositions êtes-vous quand vous écrivez ' En fait, j'ai l'impression d'être moi-même dépassé par certaines chansons. C'est comme si je me retrouvais transporté je ne sais où quand j'écris. Et une fois l'écriture terminée, je me demande comment j'ai pu parvenir à une telle production. Je crois qu'on ne peut pas l'expliquer, c'est un côté spirituel qui entoure l'art. Par ailleurs, je vous dirai que la musique est en moi et donc, après trente ans de métier, il y a aussi l'expérience. Vous avez dit à la radio que les chansons figurant sur ce double album, vous les avez passées au tamis' Effectivement. Quand je fais un album, je fais beaucoup plus de titres que ceux que j'enregistre. Sur ce double album figurent 15 titres mais, en vérité, j'en ai fait beaucoup plus que ça. J'essaye de trouver des mots, des locutions qui n'ont pas été utilisés, ensuite, je fais mûrir la mélodie. Et quand je la sens enfin prête, j'enregistre. Qu'est-ce qui suscite votre intérêt au point de vous pousser à écrire de si beaux textes : le quotidien, la famille, les petites gens' ' Tout, absolument tout. Maintenant, en étant assis, ici, je peux, peut-être, trouver le début de quelque chose, d'une chanson. Tout peut m'inspirer : le social, le rêve, l'amour, la déchirure, tout. L'essentiel pour moi est de pouvoir passer un message. A qui faites-vous écouter en premier vos chansons pour un avis ' Personne. Généralement, quand je fais une nouvelle chanson, les premières personnes qui les écoutent, ce sont ma femme et ma mère. Mais elles disent toujours que c'est magnifique (rires). Quand ce sont des chansons rythmées, je les fait écouter à mes enfants. Votre maman ne vous propose-t-elle pas des textes car il est connu que les vieilles femmes kabyles détiennent une riche tradition orale ' Non. Ma mère chante, certes, très bien, tout comme plusieurs autres membres de ma famille, à savoir mon grand-père, mon père, mon frère, mon oncle, qui sont tous des yalistes mais, concernant les textes, ce sont mes propres compositions. Vous disiez que vous étiez déjà sur le prochain album, alors que le tout dernier vient tout juste de sortir. Alors, c'est ainsi que vous travaillez, vous enchaînez l'un dans l'autre ' En fait, je suis en avance d'au moins 3 albums (rires). Quand je fais un album, je fais une cinquantaine de titres. Ensuite, je fais un tri. J'ai beaucoup de projets dans ma tête et je développe au fur et à mesure. Parlons du duo que vous avez fait dans cet album avec El Matador. La chanson est très belle, elle parle des harragas mais elle est aussi pleine d'espoir' Ces jeunes portent en eux un grand espoir. Le fait qu'ils traversent la mer sur une petite embarcation incertaine, qu'ils ont le courage de braver les dangers pour aller chercher du travail, pour aller vers le bonheur, en quelque sorte, je trouve cela incroyable. Mais après, il faut dire que, souvent, ils le payent de leur vie. Je dis toujours que nous avons un pays riche, nous avons un très beau pays, une très belle jeunesse, alors, c'est ici qu'il faut se démener pour avoir une situation sociale, c'est ici qu'il faut agir pour se faire une situation. C'est juste une question de volonté. Je dis toujours qu'il y a l'Etat mais il y a aussi le peuple. C'est ensemble qu'ils doivent s'y mettre pour développer le pays. Un jour, j'étais en compagnie du grand Nelson Mandela et il m'a dit : «Le peuple algérien est un peuple digne et courageux». Il a ensuite levé les poings vers le ciel et il a dit «Viva Algeria !». C'est dire la valeur de ce peuple et de ce pays. Pour revenir à El Matador, c'est un jeune chanteur marseillais qui a une belle voix et qui est sérieux. Je l'ai sollicité pour ce duo et ça a bien donné. Je tiens à le saluer, tout comme je tiens à saluer Nacereddine Baghdadi qui, en signant mon album, m'a fait un grand honneur. Vous nous avez servi un second album relevé à la sauce chaâbi ' Pourquoi un tel choix ' Le chaâbi, c'est le berceau dans lequel je suis né, c'est la grande école où j'ai fait mes classes. Je reste convaincu que lorsqu'on vient d'une école chaâbi, on peut sentir tous les autres styles du monde. Et comme, cette fois, j'ai entièrement produit mon album, j'ai donc choisi d'effectuer ce retour aux sources, d'autant plus que c'est aussi une demande de mon public. Dans cet opus, il y a un côté spirituel très prononcé, à travers des référents comme Incha Allah, Rabi,' En effet, Dieu m'a donné cette langue de l'art. Pour moi, l'art c'est la nourriture de l'âme, c'est la voie de l'espoir et de l'amour aussi. Dieu m'a donné tout cela ,et moi, j'ai travaillé. Donc, merci à Dieu et merci aussi à ce public qui me soutient car c'est grâce à lui que je suis là où je suis et c'est grâce à lui que j'ai sillonné le monde. Justement, n'y a-t-il pas de tournée prévue en Algérie pour satisfaire ce public ' Dans ma tête, j'ai fait plusieurs concerts en Algérie. En réalité, je sollicite les autorités concernées depuis plus de dix ans pour m'ouvrir la voie pour faire une tournée à travers l'Algérie mais ça n'a pas été fait. Je ne peux pas vous l'expliquer. On ne m'a pas dit non mais on ne m'a pas dit oui, non plus. Il n'y a pas de retour clair de leur part. On m'a même dit une fois : «OK, mais c'est à vous d'aller chercher des sponsors ». J'ai essayé de le faire mais on m'a, en quelque sorte, ri au nez, me disant que ce n'était pas à moi de le faire. Et à l'étranger ' A l'étranger, ça n'arrête pas. J'ai une tournée mondiale prévue jusqu'à la fin 2012. Puis, à partir de 2013, je crois qu'il faudra sortir le prochain album. Mais, franchement, là-bas, c'est facile, c'est ici que c'est plus difficile. Mais vu la conjoncture, incha Allah, elle va faciliter la concrétisation de ce projet de tournée. Je pense que les autorités ont entendu mon appel et savent à quel point il me tient à c'ur de chanter en Algérie. La décision leur revient. Quelques mots sur la jaquette de votre album. Il y a un travail graphique très élaboré. L'idée est de qui ' Moi-même, avec l'aide de Dieu. Ce graphisme représente mes mains avec l'inscription «Incha Allah», en tifinagh. Le c'ur renvoie à la foi. C'est-à-dire, nous avons foi en Dieu et en notre culture. El vaz (l'aigle, en tamazigh), signifie la liberté, et on peut y retrouver les paroles de la chanson «Imazighen». Je l'ai fait avec un Algérien établi en Espagne, Amar Amarni. Il a su reproduire mes idées telles que je les concevais. Et puis, il y a cet instrument qui me tient à c'ur, que je suis en train de fabriquer et qui devrait être prêt d'ici peu. Il représente l'amour. C'est un c'ur avec une tige, surmonté d'une rose. Et toutes ces racines que l'on peut voir sur le c'ur représentent l'essence de toutes les chansons qui vont naître de cet instrument.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)