Algérie

La mosquée Bensaâdoune, un lieu de culte aux rappels purement spirituels



«Ô mon Dieu, ô Toi le Créateur des mondes
Fasse pour qu'il y ait une issue entre nous et entre tout injuste
Ô mon Dieu, facilite-nous les tâches
Et fasse, ô mon Dieu, pour que nos poitrines soient épanouies.»
Ce sont les paroles du célèbre cantique Ya Rabbana ya khâliqa el ?awâlimi, houl beynana wa beyna kullî dhâlimine, une qacida sur fond d'appel au secours que les hazzabines avaient, depuis des lustres, psalmodiée sur des airs andalous dans la plus vieille mosquée de Blida, la mosquée Bensaâdoune.
De haute valeur historique mais surtout cultuelle et culturelle, cet édifice religieux a été bâti à la fin du XVIe siècle par son fondateur Bensaâdoune Ben Mohamed Ben Baba Ali. Une construction financée, dit-on, par son fonds personnel ou plutôt, comme le rapporte l'histoire, par celui de son épouse. Celle-ci, très portée sur la chose religieuse car immensément pieuse, accepta, en effet, de remettre tous ses bijoux à son mari pour servir à un projet hautement sacré si ce n'est l'édification d'un lieu de culte dont les dividendes seront fructifiés dans l'Au-delà d'autant qu'elle était pleinement convaincue qu'il s'agissait d'un bon prêt que Dieu lui rendra.
Et c'est sur un terrain situé aux abords d'un foundouk servant de caravansérail et appartenant à son père que Bensaâdoune avait porté son choix pour la pose de la première pierre à l'édifice de cette mosquée, bâtie sur une superficie globale de 1 043,70 m2, nous fera savoir Youcef Ouragui, un passionné de l'histoire de Blida. C'était au c?ur de cette ville, à proximité de l'actuel souk, que le minaret, haut à peine de quelques mètres, permettait au muezzin de faire l'appel à la prière. Aux fins de pourvoir aux besoins des salaires du personnel officiant dans la mosquée, Bensaâdoune a prévu leurs subsides grâce à l'argent rapporté par le loyer des magasins construits tout autour de celle-ci. Aussi, et en véritable prévoyant, il aurait même enfoui sous l'un des piliers de cette mosquée, raconte la légende, un écrin plein de bijoux qui servirait pour sa reconstruction en cas de séisme.
Depuis, et jusqu'à nos jours, l'on y officie le fiqh malikite. D'ailleurs, le Matn du grand savant Ibn ?âshir (1582-1631) qui commence par ces vers : Yaqûlu Abdel-Wahed Ibn ?âshir moubtadaâ bismi Al-Illahi Al-Qadir (Abdel-Wahed Ibn ?âshir dit, commençant par le nom d'Allah le Tout-Puissant) était récité à l'unisson lors des cérémonies religieuses.
Ainsi, faut-il le rappeler aux bons souvenirs de certains zélotes, les hazzabines, sous la houlette du Bach-Hazzab, chantaient a capela, lors du Mawlid Ennabawi, les poésies panégyriques les plus en vogue à l'époque, à l'image de Ala ya latifoun laka al-lotfou, fa enta al-latifou yachmalouna minka al-lotfou (Ô Toi le Subtil-Bienveillant, la bienveillance est Ton attribut. Tu es le Subtil-Bienveillant et par Toi nous entoure la bienveillance) qui était joliment reprise sur le mode mezmoum de même pour l'autre poésie ayant pour titre Mohammadûn rûhu al-wujûd wa sirrû al-akwâni (Mohammed est l'âme de l'existence et le secret des mondes). Cette belle poésie de l'imam et grand mufti d'Alger, Mohamed Ibn Chahad (1737-1844), était entonnée de fort belle manière sur le mode hsine avec l'air du derdj al-wardou yaftah fi al-khoudoud (les roses s'épanouissent sur les joues). Avec leurs puissantes et belles voix auxquelles s'ajoutaient de larges connaissances des règles de la nouba arabo-andalouse, les hazzabines, assis dans leur halqa (cercle), joignaient à l'ambiance spirituelle du lieu, une subtile douceur qui, manifestement, envahit les âmes des fidèles qui y venaient non seulement accomplir les cinq prières de l'Islam et satisfaire ainsi à l'obligation religieuse mais aussi se laisser transporter dans le mysticisme qu'inspiraient les paroles de ces beaux cantiques. Il va sans dire que la mosquée Bensaâdoune était à la foi un lieu de culte mais surtout un espace de grande culture si l'on s'en tient au savoir qui y était dispensé grâce à la diffusion d'un vaste répertoire de qaçaïde toutes aussi édifiantes les unes que les autres, celles-là mêmes qui conféraient à l'assistance le bonheur et la sérénité recherchés, loin des arguties de ceux qui prétendent que ces pieuses pratiques relèvent de l'hérésie ou bid'â, tel qu'il leur plaît de les qualifier obstinément.
Il y a lieu de souligner que cette aura s'est perpétuée jusqu'à la fin des années 1980 pour disparaître à jamais. Les héritiers de cette noble tradition continuent aujourd'hui à réciter le Coran à l'unisson avant salât el ?âsr et après salât al-maghreb comme il était de coutume de le faire des siècles durant.
Avec la disparition des chantres de la tradition religieuse ancestrale, les tenants de la mosquée Bensaâdoune tentent aujourd'hui de perpétuer le culte musulman originel tel qu'il leur a été légué par ses premiers adeptes. La lecture du Coran dans la tradition magrébine se fait encore durer à la faveur de la chaude voix de l'imam Mohamed Brinis dit El-Bouleïdi, qui, malgré son âge avancé, ne déroge aucunement à la règle pour officier la prière du maghreb. En définitive, la mosquée Bensaâdoune reste le témoin d'un riche passé qui rappelle que l'Islam n'est pas que gestes mécaniques mais une foi profondément enracinée dans les c?urs des croyants qui savent, doctement, séparer le bon grain de l'ivraie.
Mohamed Belarbi


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