Algérie

La mort du mot, le choc des photos et un nécessaire compromis



Par Naoufel Brahimi El Mili.
«Fakhamatouhou» est mort ! Le mot seulement. La copie originale vit toujours dans son antre à Zéralda. Endroit qu'il ne quitte plus, seule sa procuration peut s'éloigner du lieudit, en direction d'un bureau de vote. Devant leurs écrans de télévision, de nombreux Algériens découvrent qu'ils ont désormais un Président qui marche et qui parle. Des images banales mais oubliées depuis plus de cinq ans. Elles choquent et frappent les esprits : «Comment le pouvoir avait imposé un homme diminué à sa tête et si longtemps '» Aujourd'hui, est définitivement fini le temps où, sur un fauteuil roulant, se déplaçait sa «Grandeur». Point n'est plus nécessaire de placer des micros et haut-parleurs sophistiqués pour collecter les bribes de phrases ânonnées par «Fakhamatouhou» et qui lui décernent le rare qualificatif «alacrité» prononcé avec provocation par le Président français, François Hollande, en juin 2015. Sur un ton clair et sans appel, le nouveau Président investi bannit ce vocable, protocolairement très usité de par le monde mais que la mégalomanie d'Abdelaziz Bouteflika a transformé en synonyme de servitude et d'allégeance absolues. Enfin un Président normal si ce n'est le contexte houleux de la campagne électorale. Mais ça, c'est le passé.
Dans un cadre protocolaire très codifié, les premiers mots du Président sont particulièrement attendus. Contrairement à la cérémonie d'investiture de 2014, formalité expédiée laborieusement par Bouteflika en moins de deux minutes, Abdelmadjid Tebboune, après les remerciements d'usage et autres figures imposées, présente les principaux axes de sa politique. Aucun sujet ni aucune frange de la population n'est esquivé : jeunesse, femmes, sportifs, école et bien entendu le Hirak. Sur un ton clair et solennel, M. Tebboune demande de s'adresser à lui comme Monsieur le Président, sans le cérémonial obséquieux imposé depuis deux décades. Une parole de rupture. En toute logique constitutionnelle, M. Abdelkader Bensalah reprend la tête du Sénat. Le deuxième «B» part. Plus tard, le Premier ministre Bédoui est remercié, fin du troisième «B». Plus important, le très controversé ministre de l'Intérieur est sèchement limogé. Un discours, des annonces, Abdelmadjid Tebboune réussit son premier oral. Les applaudissements soutenus dans l'espace feutré du Palais des Nations ne font pas oublier que l'heure est grave. Et ce n'est que la toute première journée d'un Président investi. Reste encore, selon les textes fondamentaux, cinq longues années où tout faux-pas est interdit. Ces dernières élections sont une avancée pour résoudre le problème de la crise du pouvoir due essentiellement à une observance approximative de la Constitution. Maintenant, seul un pouvoir sorti de crise peut s'attaquer aux missions titanesques.
M. Tebboune a non seulement tous les pouvoirs mais aussi de nombreux atouts en main. Il est débarrassé des boulets idéologiques du FLN et du RND avec leurs lourds passifs. Il peut faire appel à des membres de la société civile pour former ses équipes s'il arrive à convaincre une partie de ses adversaires d'hier. Ils sont à puiser notamment parmi les abstentionnistes qui pourraient prendre acte de la volonté présidentielle de rupture avec les pratiques passées. Mission non aisée car le Président souffre, à tort ou à raison, d'un déficit d'images. Il sera jugé sur ses actes concrets notamment vis-à-vis des deux wilayas où les bureaux de vote ont été prématurément fermés. Il tend la main au Hirak, ce geste que certains voient comme un préambule à une réconciliation nationale. Expression trop marquée par les premiers pas d'un Bouteflika charmeur. Alors que l'Histoire renferme d'autres exemples plus indiqués pour s'en inspirer.
Italie, années 1970. Le pays s'enfonce dans une crise économique et institutionnelle. La Démocratie chrétienne, soutenue par le Vatican et le patronat italien, ne peut gouverner seule. La gauche italienne avec le Parti communiste (PCI) en tête remportent des succès électoraux. Seulement dans le contexte de la guerre froide, le PCI ne peut diriger le pays et ne veut pas aller vers l'affrontement avec les forces du capital. A Rome, au siège du Parti communiste, le coup d'Etat fasciste d'Augusto Pinochet au Chili, le 11 septembre 1973, fait réfléchir Enrico Berlinguer, le secrétaire général. Commence à germer l'idée d'un compromis historique avec les élections législatives de 1976. Cette année-là, la Démocratie chrétienne, présidée par Aldo Moro, remporte 38% des sièges, talonnée par le PCI qui atteint 34%. Le pays est divisé. Prend forme le compromis historique où des antagonistes font alliance pour trouver une issue.
L'époque n'est plus la même évidemment mais lors de crise gravissime un compromis mérite examen. En Algérie, M. Tebboune doit faire un premier pas avec une offre politique globale. Les partis d'opposition et aussi le Hirak seront face à des responsabilités historiques. Point n'est nécessaire de revenir sur une présidentielle contestée, il est aussi inutile de se vautrer dans le déni en rejetant un Président investi. Ce dernier ne jouit pas de période de grâce mais il peut avoir le bénéfice du doute. Pourquoi ne pas croire en ses intentions constructives mais contraintes ' Le Président n'a pas le choix que de dialoguer. Il a dit et répété. Avec ou sans «l'accompagnement» de l'armée, si Tebboune est convaincant, l'Algérie aura son compromis historique. Une nouvelle République peut alors émerger sur des bases saines et solides. Ce qui est certain, les recettes et méthodes du passé n'auront plus cours. L'ère de Fakhamatouhou est révolue, c'est un acquis du Hirak qui peut, avec d'autres forces politiques, les multiplier.
Naoufel Brahimi El Mili


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