La mort des chiens de Saïd Kamel Gueroui

Une œuvre-témoin

Les personnages inventés par l’auteur des Elégies d’Announa ne sont pas alignés en héros et anti-héros. Le partage des tâches n’est pas là, ne sera pas là. Ils ne sont pas non plus éloignés de tout ce que peuvent produire les Attila de la civilisation.

Dans le livre de fiction, nous ne sommes pas uniquement dans la classification esthétique mais bel et bien dans la restitution révoltée d’une horreur avec ses pions occasionnels et ses responsables permanents. Les personnages mis aux premières lignes du récit sont porteurs d’eau avant d’être porteurs de projets. Ils n’ont pas de beaux rôles car on ne peut prétendre (ni l’atteindre du reste) dans un monde tout acquis à la brutalité des faits et à son corollaire, la laideur de l’assassinat programmé.
Symboliquement, Dhebana, Derengou, Lyes Boumergoud l’enfant dormant, Rokaia, Hamama, Belaredj et tous les autres acteurs de la tragédie que nous raconte l’auteur, sont dans la définition des descentes en enfer, exécutants passionnés d’une cause qui leur échappe. « Les bourreaux et victimes de La Mort des chiens » disent leur condition avec les mots du moment, avec les mots qu’ils connaissent le mieux, des mots puisés du vocabulaire des hommes-loups. Ils sont des seconds couteaux qui assument pleinement leur statut parce qu’ils savent qu’ils ne peuvent prétendre à un autre statut dans la gestion de la sphère de l’horreur.
Une horreur proche de nous, une horreur de chez nous, née et entretenue dans nos campagnes, nos maquis et nos villes. Kamel Gueroui fait œuvre de reporter du vécu pour raconter l’enfer de ce vécu abject. Placeur de mots avéré, il en parle avec fureur mais aussi avec assez de distance pour exprimer l’effrayant constat de nos errements successifs. Il évoque les misères humaines de populations otages d’étranges épidémies mais parle aussi de sa Annaba la coquette et de ses monts inspirateurs, les monts de l’Edough éternel, immatériel.
Menée par un style flamboyant parce que sentie avec les tripes avant d’être maîtrisée par une plume intelligente, l’histoire mise en mouvement est écrite simultanément sur plusieurs registres car l’observateur averti (et inspiré) qu’est Kamel Gueroui estime que la lecture d’un moment de l’histoire ne peut s’offrir le luxe d’être compartimentée pour être comprise. Le détail dans La Mort des chiens est dans le général, et ce dernier est parfaitement soluble dans le détail.
Une prouesse que ne peut réaliser qu’une plume racée, et celle de Kamel en est une. Rappelons que Saïd Gueroui a publié l’année passée le roman Noé attend le déluge à la maison Dar-El-Gharb-Oran, sous le pseudo de Kalim Aguidem.