Présente à Alger lors de la tenue de la troisième édition du Festival de la création féminine, Sadiya Guéye, cet ancien top model, revient sur les débuts de sa carrière, sur ses ambitions et sur sa vision de l'évolution de la mode au Sénégal.
-Vous êtes arrivée par un pur hasard dans l'univers de la mode...
Tout à fait. J'ai basculé dans l'univers de la mode par un pur hasard. Je suis une scientifique, une informaticienne en l'occurrence. J'ai décroché mon bac C avec mention bien en France. Je suis détentrice d'un diplôme d'analyste programmateur. A l'époque, le Sénégal vivait au rythme des grèves. J'ai évolué dans une famille qui accordait beaucoup d'importance aux études. Mes frères et s'urs sont tous détenteurs de diplômes universitaires. Mon histoire se décline, en fait, sous la forme d'un conte de fée. En faisant mes études en France, quand je passais dans la rue, les gens me demandaient souvent si j'étais mannequin. Un jour, une copine m'a prise en photo et a envoyé le cliché à un grand magazine africain qui a lancé, à cette époque-là, un concours de beauté. Quelques jours plus tard, cette même amie me tend le magazine. Tout en le feuilletant, je tombe sur ma photo.
Cette dernière était tellement noire que l'on ne voyait que le noir de mes yeux et la blancheur de mes dents. Je n'ai jamais eu aussi mal de ma vie. Quand on décide de publier quelque chose, il faut, au préalable, demander la permission à la personne. Quand je suis rentrée chez moi, j'ai fondu en larmes. Je ne voulais plus entendre parler de cette histoire. On m'avait trahie et les gens ne comprenaient pas. Quelques jours plus tard, une de mes amies arrive en disant que j'étais l'heureuse gagnante de ce concours. Dans un premier temps, j'ai refusé, car cela ne m'intéressait pas de décrocher un tel titre. Mon amie a essayé de me raisonner en me disant que j'avais gagné. J'ai par la suite décidé d'accepter le voyage en France offert par le magazine.
-C'est au cours de ce voyage à Paris que vous êtes sollicitée par Yves Saint-Laurent pour défiler pour lui...
Le notoire styliste Yves Saint-Laurent m'a proposé de défiler pour lui à la suite d'une séance de photos en 1987. Il m'a demandé de porter une sublime robe de soirée. L'essai était concluant. J'ai eu l'insigne honneur de porter les plumes et le tulle de la mariée. Porter la robe de mariée dès le premier défilé est une première chez les mannequins africains. C'est là que ma carrière a véritablement démarré. Pour la petite histoire, quand Yves Saint-Laurent m'a proposé de défiler, je me suis envolée au Sénégal pour avoir la bénédiction de mes parents. Je pense que l'éducation de base est très importante.
Aussi, il faut avoir des convictions dans la vie. Moi, j'ai toujours mis ces aspects en avant dans ma carrière. Je me souviens que le premier vêtement que j'ai porté pour Yves Saint-Laurent a coûté 200 millions de francs CFA. Par ailleurs, je suis convaincue qu'il faut voyager à travers le monde pour voir ce qui passe ailleurs.
-Mais au préalable, vous vous étiez fixé un échéancier, en l'occurrence n'exercer le métier de mannequin que durant dix ans...
C'est tout à fait exact. Au début de ma carrière, je m'étais dit que certes je rentrerai de plain-pied dans cette carrière, mais pour une durée limitée. Quand j'ai vu tout ce luxe, je me suis dit en mon for intérieur qu'il fallait faire quelque chose dans mon propre pays. Je ne cessais de répéter qu'il était hors de question pour moi de continuer d'exercer ce métier au-delà de dix ans de pratique. Il m'arrivais d'aller à Dakar le samedi et de revenir le lundi matin à Paris. J'avais besoin de me ressourcer chez moi.
Ma passion pour la couture et pour ma formation parallèle d'esthéticienne a sérieusement pris le dessus. Sans prétention aucune, j'étais sollicitée par les plus grands podiums du monde, dont l'Italie, la France, l'Angleterre, le Japon et les Etats-Unis. J'ai défilé pour de grands couturiers, à l'image de Christian Dior, Givenchy, Ungaro, Jean Louis Cherrer, Christian Lacroix, Versace, Gianfranco Ferre, Issey Mickey.
-Vous retournez vous installer dans votre pays au Sénégal en 1997, en ouvrant un complexe de beauté et de mode portant votre nom...
Ayant acquis suffisamment d'expérience, j'ai, en effet, décidé de rentrer définitivement dans mon pays pour apporter mon savoir-faire. Personne ne peut construire notre Afrique. Il n'y a que nous qui puissions le faire. J'ai inauguré un grand complexe de mode et de beauté de 2000 m2, où j'ai recruté une cinquantaine d'employés. J'ai une salle de spectacle de 1700 places, un salon de coiffure et d'esthétique, un atelier de confection et de stylisme, un hall d'exposition et un centre de formation. Depuis seize ans, j'ai formé beaucoup de créateurs qui ont, aujourd'hui, leur propre structure à Dakar en design et en mannequinat. Il faut être bachelier pour prétendre s'inscrire dans mon complexe. Au bout de trois à quatre ans, les intéressés ressortent avec un diplôme.
-Comment se porte la mode sénégalaise actuellement '
La mode sénégalaise se porte très bien. Nous, on est très porté sur la mode. Il y a des étrangers qui viennent nous voir, ils sont effrayés en nous voyant sortir dans la rue avec nos tenues sénégalaises. A titre d'exemple, pour aller au marché, les gens s'habillent bien. La mode sénégalaise est en pleine expansion. On a des couturiers, des créateurs et des stylistes. En Afrique, les gens ne connaissent pas tellement les termes. Quand on dit qu'elle est couturière, on le prend à un niveau bas. Alors qu'être couturier, c'est le plus haut niveau. Pour ma part, je me considère comme créatrice.
-Que connaissez-vous de la mode algérienne '
Ecoutez, c'est mon premier voyage en Algérie. Malheureusement, durant mon séjour à Alger, dans le cadre de la tenue du 3e Festival de la création féminine, je n'ai pas eu le temps d'apprécier ce qui se fait en matière de coupes et de broderies en Algérie. Cependant, je me ferai un plaisir de revenir pour justement découvrir votre riche patrimoine ancestral. Toutefois, je vais vous faire une petite confidence : j'ai remarqué que les Algériennes avaient une autre façon de faire, elles sont beaucoup plus timides dans leur aspect vestimentaire, contrairement aux Sénégalaises qui portent beaucoup de couleurs. L'Algérie, du point de vue vestimentaire, est assez riche. Je parle des accessoires, liés au traditionnel. Il faut exploiter toutes ces choses, essayer de prendre le côté moderne et les faire vendre à l'extérieur. Il faut que toutes ces belles choses sortent à l'extérieur.
-L'ensemble de vos collections de prêt-à-porter est une compilation de tissus variés et traditionnels dans des découpes pratiques et aériennes '
Je tiens à préciser que c'est moi qui dessine les modèles. J'essaye même de coudre. Il est vrai que j'ai un personnel qui est payé pour cela, mais je pense que quand on pratique un métier, il faut avoir des connaissances. On ne peut pas faire n'importe quoi. Chez moi, vous trouverez du moderne et du traditionnel. Nous essayons de faire des recherches avec nos tissus et de voir ce que l'ont peut proposer. Il y a toujours quelque chose de nouveau qui touche.
J'organise des défilés de mode à l'étranger pour me faire connaître. Comme j'ai eu la chance de faire le tour du monde, j'organise des défilés haut de gamme, j'ai eu la chance de connaître des couturiers et d'avoir des invités de marque. On organise tout le temps des défilés de mode au Sénégal. J'aimerais bien qu'il y ait une collaboration entre l'Algérie et le Sénégal. C'est important. Il faut aller vers les gens. Les étrangers ont eu une idée erronée de l'Afrique. Ils pensent que c'est la brousse ou encore un continent où sévit la misère, pas du tout. Il faut aller vers l'autre. A travers ma présence à ce Festival de la création féminine à Alger, cela m'a permis d'avoir une idée de l'Algérie, de nouer des relations et de fructifier ces contacts.
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Posté Le : 21/07/2012
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Nacima Chabani
Source : www.elwatan.com