La «France algérienne»
n'est pas une géographie. Elle est une sociographie. Elle se vit comme une
certitude qui vient côtoyer un rêve demeuré en eternel
accomplissement. Vivre dans l'Hexagone, voir et commenter ce qui s'y passe,
avec des yeux que commande toujours un cerveau arrimé à des racines
d'outre-mer, c'est vivre sa «France algérienne».
Il fut un temps,
dans une injustice lointaine où des cris-bondirent de
gosiers corses, maltais et provinciaux scandant «l'Algérie française». Peu
après l'histoire s'asseyant à ses bonnes séances et fit dire dans une douleur
généralisée à des gosiers asséchés, martyrs que cette Algérie n'est
qu'algérienne. Sang, fer, mort sacrèrent l'auréole de ces derniers dans une
équité recouvrant une indépendance, que l'on dit inachevée.
2011/2012, fin débutante d'une année post-révolutionnaire, morose,
soucieuse et fortuite. Quelque part, vers le nord-est de Paris, dans l'un des
départements français qui semble contenir le plus gros lot d'une nouvelle
génération d'arrivants. Là se tissent dans leur petit cosmos, des relations
quasiment familiales. Elles sont nombreuses. Elles proviennent de différents
horizons, de contrées toutes aussi différentes. Ces personnes sont comme un
assemblage ficelé par la force imprenable du destin.
Personne ne savait
qu'un jour viendra pour les faire unir sur un mot, sur une tache, sur un
partage de sentiment. Tout le monde savait, comme le reste de l'humanité
qu'elles allaient survivre dans un désarroi mythique et mitigé entre gène et
naissance, vie et résonnance. Miriam, une jeune parmi
cet aréopage algérien, nommée initialement Meryem
installée depuis peu dans la banlieue parisienne, affichant un sourire que
dissimule une angoisse quasi apparente, ne s'empêchait pas d'arborer fièrement
son appartenance d'algérienne. Etendard national en bandeau et en bandoulière,
elle crie du fond de ses trippes : one
,two , three viva l'Algérie ! C'était lors d'une fête de la fin d'année
agencée aléatoirement dans le p'tit arrondissement.
Au même moment
presque à quelques intervalles de temps, à la place de
la république la France
ouvrière, salariale, chômeuse et retraitée crie sa colère face à la déferlante
crise financière et aux effets néfastes qui commencent à semer le trouble et la
tourmente dans tous les foyers.
L'échiquier
politique de l'immigration algérienne en France se trouve déjà mis en branle.
Avec un Guéant intraitable, celle-ci ne va pas désappointer de si tôt. Le
monsieur est en Å“uvre de puiser, pour réduire le flux migratoire même dans la
légalité des choses. L'émigration légale est la plus ciblée après celle dite
coutumièrement clandestine. Par conséquent tous les accords et protocoles
devront subir un lifting au sens de ce monsieur.
Les concitoyens
résidents dans l'ancien empire colonisateur ne sont pas uniformes sur les
notions de gestion du Bled. En fait ce terme, à l'entendre se débiter, il ne
dégage qu'un sens nettement diminutif. Il s'applique sans distinction aucune à
tous les pays du Maghreb. Un marocain vous dira également « la bas, au bled… »
Idem pour un tunisien. On s'abstient volontiers de citer in-extenso
l'appellation officielle et usuelle du pays en question. Le « bled » devient
ainsi un raccourci à une patrie non perdue de vue. Elle est nécessaire pour un
ressourcement immédiat. Ces gens là, ont leur propre schéma des contrées
lointaines qui les ont vus naitre ou
d'où provient leur ascendance. Pour certains d'entre eux, le mythe du retour
reste toujours présent.ils n'attendent pour ce faire
qu'un oracle divin ou une sentence céleste. Pour d'autres, le retour ne se fera
qu'une fois l'aller vers le bled aura lieu. Les jeunes sont là, prétendent-ils
chez eux. Leurs parents demeurent suspendus justement jusqu'à ce retour «incertainement» attendu pourtant prémédité. Depouille mortelle dans un cercueil galvanisé. Un vieux,
pionnier de la première génération rencontré selon les aléas de ma curiosité,
fit de ce retour un départ sacré. Il en voit une obligation presque religieuse.
Comme un destin prévu dès l'arrivée, il y plus de cinquante ans. Il l'évoque avec
un brin de regret et d'hésitation. Le soupir itératif accompagnant sa
dissertation sur le sujet exprime lourdement une note de chagrin et de
contrariété. Là, les droits personnels sont respectés semblait-il m'inculquer
avec persistance. Les nombreuses cartes non plastifiées en sa possession font
de lui un être prioritaire en tout. Invalide sans l'être à l'apparence, son
corps croule sous des dizaines d'années passées au Nord dans les sites miniers.
Emile Zola en avait parlé dans son germinal. Mineur à son adolescence, il
prétend avoir vendu sa force de travail. En lui, l'homme, cet être humain
n'apparaissait pas beaucoup plus qu'apparaissait son ensemble de muscles, ses
bras et sa robustesse à affronter le grisou et le froid terrible des entrailles
de la terre dans ce village de Lourche à proximité de
Denain dans les mines du Nord. Le souvenir l'estompe mais le rend allègre par
tant de prouesse et d'état de services reconnus. La discussion fut vite
interrompue à l'arrêt du bus. Moi je passais m'acquitter des droits excessifs
d'accès, lui s'installa, sans le faire dans une place qui lui est spécialement
réservé. Il a la gratuité du transport, des soins, de l'oxygène et une pension
de retraite qu'il estime à l'équivalent meilleure que celle d'un wali en poste
chez nous. Le monde, le mien tourne à mille tours autant que le bus marque les
arrêts prévus et à l'horaire précis prédéfini. La minute ici est toujours une
unité de compte. Elle n'est pas insignifiante. Au même titre que l'heure. C'est
cette France là, du respect de l'invalide, de la reconnaissance du mérite et du
travail, de la garantie de la protection sociale une fois out la vie active, de
la rationalisation du temps que mon vieil ami d'un moment voulait exporter vers
le bled. La France
algérienne. Mais ensemble, refusons cette France du chômage criard, de la crise
visible, des méventes et de la course effrénée contre le temps et pour la
survie. Tous les gens sont pressés de partir ou venir, de manger ou se coucher.
Rien ne compte à leurs yeux que l'euro, cette monnaie en phase de déperdition.
Ensemble, nous disions qu'au bled, la vie est quand bien même vivable malgré
les couacs temporels.
Ici, le trottoir
est fait pour les piétons, les cyclistes ont le leur. Les bagnoles et les bus
aussi. Chez vous» me dit-on «vous confondez toutes les parties de la chaussée,
celle-ci sert aussi de corbeille ou de bac à ordures recyclables ou non, un bac
à ciel ouvert» confus, j'acquiesçais, non sans émoi. «Est-ce une affaire de
citoyens ou de gouvernants ? Tentais-je un semblant d'auto-défense.
«Ici, c'est l'affaire des citoyens, chez vous elle est celle de vos dirigeants»
que dois-je dire ? La réflexion se poursuit le long d'un grand boulevard en
cette soirée hivernale et de découverte d'un ancien ami professeur en nanotechnologie
dans l'une des grandes Ecoles parisiennes. Il est là depuis plus de trente ans.
Il respire l'air francilien, mais inspire l'odeur du « bled ». Il vit son pays
en virtuel et en toute permanence. Erudit qu'il est, il est au parfum du
dernier accident routier survenu dans tel virage situé dans tel bourg. C'est
lui qui m'informa des assisses du CNES, de la signature de la loi de finances,
des déclarations de Soltani, du ciel et de la bourse
de Sétif. Le net c'est son passeport sans visa ni contrôle aux frontières. Il
voyage au gré de ses clics. Les retrouvailles lui ont permis d'apporter du
tonus dans la mélancolie qui l'emplit. Il n'osait l'avouer. Le froid de la France est loin de n'être
qu'un état climatique, il partage l'espace cardiaque de tout être. Mon ami, je
le voyais moulu dans un gabarit testeur d'une norme qu'il n'a pas à discuter.
Il s'y enfonce et c'est tout. Il se remue, s'ajuste et se modélise aux contours
des mensurations du gabarit en question. Les petits bonjours gratuits par-ci, les
grands mercis sans âme par-là, les « pardons » obséquieux distribués à chaque
passage, montée, descente, entrée, sortie ont fini par le rendre un « citoyen
normalisé ». Cette ubuesque position, qu'il me définit comme comportement
civique, moi je la voyais de mon angle de visiteur comme une charge sociale
exagérée. Je la refutais, en faisant privilégier mon
instinct grégaire de bledard un peu désemparé. Au gré
de nos pérégrinations vespérales la providence a bien voulu nous fournir une
thématique testimoniale à la réflexion que nous menions. Un homme s'affale
brusquement sur le trottoir. Crise d'épilepsie ou probabilité hypoglycémique ?
Personne ne s'en est rapproché. Les nombreux passants l'enjambaient et
continuaient paisiblement leur chemin. Vois-tu mon cher ami, quelle société ?
Elle est inhumaine, impersonnelle me suis-je attelé à gueuler. « Patience ami »
m'assurait-il « si cela c'est produit chez vous, tout le monde accourrait vers
lui et chacun devient un secouriste, qui une clef, qui de l'eau, qui je n'en
sais quoi d'autres ». Mais il faut faire quelque chose ? ai-je
tenu pour le brusquer. Il m'apostropha en m'invitant à bien regarder les gens
qui avaient au moment de l'acte enjambé l'individu. Ils étaient accrochés à
leurs portables. Une civière, une équipe médicale, le Samu sont là. « Vois-tu
mon cher ami, on n'est pas dans une société inhumaine ni impersonnelle, mais
une société simple organisée et bien structurée, chacun fait son travail, les
gens s'affairaient à appeler qui de droit » que dois-je dire encore ? C'est
cette France là, celle de l'organisation civile, du sens civique, de la
responsabilité individuelle que mon ami de toujours voulait exporter vers le
bled. La France
algérienne.
Quelque part dans
la rue de la Croix Nivert, un bel immeuble abrite un bout
d'une Algérie qui mérite d'être visité une fois étant devant. Sa notoriété
n'est pas intrinsèque à son architecture ou son design urbain mais au titulaire
du poste de sa gestion. Une sommité dans la littérature universelle. Une icône internationale
qui fait tout de même la fierté nationale. Juste à l'entrée, le dispositif
d'accueil vous confirme bel et bien que vous y êtes. Un planton eu lieu et
place d'un guide vous happe en vous saisissant par l'interpellation sur le
motif de votre visite. Dans un espace culturel culturellement me suis-je dis le
motif général n'est autre que de glaner entre les coulisses d'exposition, de
vernissage, de galeries d'art ou de présentation artistique. Là le badaud que
j'étais s'est vite désenchanté et se croit encore dans le hall d'une
administration communale à Batna ou Saida. Heureusement pour l'image le chef
des lieux a modifié les nuances de cette image que tentait de ternir son
gardien. L'écrivain de « L'écrivain » vient de dégager un sentiment de bon accueil
et s'acquitte à merveille au visiteur banal de ce que le jour doit à la nuit.
J'y ai trouvé un petit homme au grand savoir. Il n'a rien perdu de son algérianité verbale ou vestimentaire, contrairement à son
gorille du hall d'entrée. L'Algérie est toujours présente, surtout dans son
petit clavier, là où se sont dessinées en graphie toutes les trames des
tragédies romanesques qui ont fait de l'homme un romancier reconnu et avéré.
J'ai eu droit en live, sur le plasma de cet écran de gouter
déjà aux prémices d'une redécouverte de la ville d'Oran racontée par un migrant
du sud, vers 1920. La description ressemblait à une scène filmique digne d'un bestseller hollywoodien. Le détail urbain, les tranches de
vie, le portrait des gens, la terminologie adéquate vous sautent aux yeux. La
lecture que me faisait l'auteur en direct de cette histoire encore inédite car
en cours de couvaison est venue à point détruire l'incantation qui me
bourdonnait à propos des critiques professées à son envers. Là aussi j'ai pu constater
que l'Algérie existe également ailleurs. Dans les Å“uvres nées sur les hauteurs
de la rue de la croix Nevert dans le 15 ème.
Au retour de mes
rêveries de solitaire, le constat fait est que les nationaux résidents en
dehors du territoire national vivent dans une terre mais survivent toujours
dans la leur. La dureté journalière, l'inquiétude des lendemains, l'incertitude
de l'avenir les partagent tous. Les problèmes sont identiques à cette exception
qu'ici on les vit dans un confort matériel extérieur et non dans un total
dénuement. Les magasins achalandés, les terrasses de café fréquentées, les
facilités de mobilité offertes ne suffisent plus à construire un bonheur. La
quiétude de l'âme et la passibilité manquent. La bi-nationalité n'est plus regardée comme un reniement
national. La nationalité n'exprime plus le nationalisme. Comme la religion
tient à renier la race et l'espèce ethnique. Universalisme. Abord de ce Boeing
qui en toute conviction ne partira pas à l'heure annoncée vers le retour
programmé c'est la fin subite des p'tits bonjours,
des grands mercis, et des pardons obséquieux. L'heure s'est vite réglée à dezni endezek. Pousse que je m'y
mette.
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Posté Le : 12/01/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : El Yazid Dib
Source : www.lequotidien-oran.com