Algérie

La mémoire, dernier monopole d'Etat


Après de longs mois d'atermoiement, le gouvernement a consenti, par la voix de son ministre des Moudjahidine, à s'exprimer sur la manière de commémorer le 50e anniversaire de l'Indépendance. En guise de préambule, des prodiges de langue tentent de compenser la vacuité intellectuelle et politique d'un programme creux. Et si, pour Cherif Abbas, 'la fête de l'indépendance de l'Algérie est certainement la fête des fêtes dans ce pays', l'évènement est 'purement algérien', et 'cela nous amène à nous éloigner de toutes les intrigues qui surgissent ici et là ('), en refusant ainsi toute sorte de récupération qui viserait à atteindre d'autres objectifs avoués ou non avoués'. Il ajoute que 'notre caravane passe et ne déraillera pas, quelles que soient les voix discordantes qui s'élèveront'.
En un mot, ce que craint le pouvoir, ce sont 'les intrigues' et 'la récupération' ; enfin, toutes ces 'voix discordantes' qui risquent de profiter de cette commémoration pour s'élever. C'est donc un ensemble d'actions maîtrisées, soumises à l'agrément de commissions de lecture vigilantes, qui tiendront lieu de commémoration officielle du cinquantenaire. Les ouvrages, documentaires et films qui prétendent au financement public devront se soumettre à la censure. Ainsi en sera-t-il, par exemple, des projets de longs métrages nécessairement dédiés à des biographies révolutionnaires, classées 'par ordre de priorité'. C'est le ministre qui le dit.
L'accouchement semble tellement douloureux qu'on peut aisément deviner que le pouvoir aurait bien préféré se passer de ce moment de mémoire propice aux évocations les plus incommodantes. Malgré une haute commission qui, selon l'expression consacrée, serait déjà 'à pied d''uvre', le menu n'est toujours pas connu.
Le régime se serait bien passé d'assister à une commémoration qui risque de donner libre cours à des esprits susceptibles de revenir sur les fautes, les crimes, les trahisons et les fiascos dont l'Algérie a été victime au cours des cinquante dernières années. Le fait même de dresser la liste des 'réalisations' réveille la mémoire endormie d'un demi-siècle de tyrannie, de combine, de répression, de prévarication et, pour finir, de faillites cumulées. Et c'est là le dilemme des officiels : comment fêter les cinquante ans d'Indépendance sans être obligé de les interroger '
L'argent ne faisant pas défaut, il y a, certes, les célébrations silencieuses, faites 'de stèles, de restauration de sites, de centres de torture de l'armée coloniale', comme le précise le ministre, ainsi qu'une opération qui consiste à baptiser et rebaptiser des rues, cités et édifices. Au mieux, chacune de ces occasions donnera l'occasion à un discours convenu d'officiel ou de notable. Il n'y a là rien de subversif. Mais, comment faire pour éviter les questions et débats ' Pour canaliser les thèses qu'il faut bien sponsoriser ou pour faire en sorte que nos cinéastes réalisent des films qui glorifient notre épopée tout en étant politiquement' muets.
La lenteur de la programmation aura au moins permis d'éviter tout débat sur la gestion post-indépendance avant que ne soient expédiées les législatives 'démocratiques'. Mais puisque l'Etat finance aussi la mémoire, il s'octroie la prérogative d'organiser son expression.
La mémoire est le dernier monopole, après la télévision.
M. H.
musthammouche@yahoo.fr


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