Algérie

La mécanique du Mal anonyme



Pour suivre ses propres politiques de réforme de la Santépublique et améliorer l'accueil des malades, le ministre de la Santé, Amar Tou,prévoit de déployer des inspecteurs anonymes chargés de surprendre lesdéfaillants pendant leurs défaillances. Est-ce possible ? Peut-être. Boumediènea pensé à la même chose mais a fini par dire une absurdité: on ne peut pasmettre un policier derrière chaque Algérien. La moitié du peuple se plaignantde l'autre moitié, la solution d'un bon service public est donc dans lesinspections inopinées et dans les inspecteurs anonymes. La question estpourtant fascinante: peut-on être anonyme en Algérie ? Oui si on est le peuple,non si on est inspecteur. Un inspecteur ayant des enfants, une femme, unefamille, des descendants, des ascendants et des voisins, il ne peut se déplacersans son prénom, sans se faire identifier, sans se rendre visible et sansprovoquer des alertes ou augmenter son salaire comme le fit le nouveau code de laroute pour certains. Des inspecteurs anonymes ne le seront jamais et desinspections inopinées sont toujours annoncées avant leur annonce. L'Etat nepouvant jamais se déplacer en Algérie sans se faire remarquer, toute stratégiedu genre est vouée à l'échec. Comment faire alors pour à la fois surveiller lepeuple par lui-même comme on le fait en Tunisie, le surprendre sans l'éveilleret le surveiller sans qu'il s'en doute ? Impossible. La solution est dans lafiction: faire semblant d'être un inspecteur anonyme, de se déplacer àl'intérieur d'un service où l'on fait semblant de ne pas vous reconnaître,constater de menues infractions que l'on fait semblant de commettre pourjustifier le tout aux yeux de Amar Tou et faire semblant que cela marche. C'estla seule issue possible: un Etat qui circule sur la pointe des pieds pourconstater les défaillances de l'Etat. Car dans l'autre sens de la logique,l'autre moyen est celui de démocratiser le tout en donnant au bon peuple lemoyen de surveiller l'Etat par lui-même, sans passer par des inspecteursanonymes, par un jeu de gestions ouvertes, d'élections propres, d'associationsnon clientélisées et de partis non soumis aux mangeoires ou à la servilité.Dans le jargon des utopies, cela s'appelle la citoyenneté mais c'est un mot quia mauvaise presse. Si Amar Tou en est venu à l'idée d'inspecteurs anonymes,c'est parce qu'il n'a pas le choix dans un Etat qui ne veut pas d'autres choixque lui-même. Le fils aîné d'un Etat biaisé est un peuple fourbe. Les Algériensont été si longtemps colonisés qu'ils ne peuvent changer de comportementvis-à-vis de l'Administration, même si elle est la leur et même si elle partageleur propre nationalité. La stratégie alimentaire collective est celle del'auto-vandalisme comme mode de résistance et du saccage du Beylick jamaisperçu comme bien public. Qu'est-ce qu'un bien public ? Un bien de l'Etat.Qu'est-ce que l'Etat ? La propriété de certains. Que faut-il faire ? Letromper, le rouler, le contourner, le voler, le subir, le harceler, ledémembrer, le partager, lui survivre. Que doit faire l'Etat ? Surveiller,inspecter, surprendre, réformer, renvoyer et sanctionner. Le tout donnant untableau clinique d'un duel colons/colonisés, à l'usure, entre deux entités quimathématiquement ne font qu'une seule. Car tout le monde le devine mais ne veutpas le savoir: c'est le même infirmier qui reçoit mal un malade qui ira un jourse plaindre d'avoir été mal reçu dans une autre administration par le mêmemalade une fois guéri et qui ne va même pas le reconnaître. Ce qui est anonyme,ce ne sont pas les inspecteurs mais cet échange de coups entre Algériens qui sepunissent en punissant l'Etat, qui se plaignent de l'Etat en le voyant dansl'oeil du voisin là où l'Etat les punit d'être autre chose que lui-même. Lesalut ? Trois scénarios: recruter tout les Algériens comme agents de sécuritéou inspecteurs pour finir par voir qu'il n'y plus rien à surveiller. 2°-Laisser ce peuple s'enfoncer dans lui-même jusqu'à la prise de consciencehistorique du peuple par le peuple. 3° - Continuer à croire que l'on peut fairequelque chose avec des inspecteurs faussement anonymes, qui, à la fois, fontpartie du peuple, sont chargés de le servir, sont sommés de le surprendre.


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