Algérie

«la maison de Shéhérazade» de Hanan el-cheikh



«la maison de Shéhérazade» de Hanan el-cheikh
Tout le monde a une histoire avec Les Mille et Une nuits. Chaque lecteur peut évoquer une anecdote en relation avec ces contes délicieux. Pour certains, ce fut une initiation à la lecture, pour d'autres, un éveil à l'imaginaire et la sensualité, en tous les cas une œuvre qui ne laisse personne indifférent.Ce recueil d'histoires étranges ou cocasses est un livre majeur dans l'histoire littéraire universelle. Il se bonifie avec le temps, car il continue d'alimenter et d'aiguiser l'inspiration des auteurs et le plaisir des lecteurs à travers le monde.C'est au tour de l'écrivaine et anthropologue libanaise, Hanan El-Cheikh, de nous livrer avec La maison de Shéhérazade une nouvelle variation qu'elle justifie ainsi : «J'étais stupéfaite de voir à quel point nos ancêtres avaient façonné nos sociétés, nous montrant comment vivre notre vie quotidienne à travers ces histoires foisonnant de réflexions et de règles éthiques et sociales, fruits de l'expérience, loin de la religion, et de sentiments profonds et naturels à l'égard de tout être vivant». Ce projet de créer une version moderne des Mille et Une Nuits répond à une sorte de collaboration entre l'auteure et le metteur en scène britannique Tim Supple.Il s'agit donc de faire une adaptation théâtrale de cette œuvre pour la jouer toute une nuit sur scène. Mais, à première vue, cela semble une gageure de tenir un tel pari et Hanan El Cheikh s'en sort bien car elle ne retient pour la dramaturgie qu'une vingtaine de contes et autant de personnages. Le dispositif narratif se modifie pour épouser les contours du jeu théâtral. La subtilité du travail consiste à élargir le nombre des narrateurs par leur multiplication sur scène. Shéhérazade se démultiplie et elle se dessaisit de son rôle de narratrice dans une forme de générosité pour mettre en valeur les protagonistes des contes.Elle délègue pour la première fois son rôle et on se retrouve dans une sorte de halqa, une assemblée où les histoires gigognes se divulguent une à une à mesure que la nuit avance vers la clarté du jour. Ainsi, on revient à la genèse grâce à Hanan El Cheikh pour lier l'acte de naissance des Mille et Une Nuits aux déboires des deux rois, Shahrayar etShahzaman, trahis par leurs épouses respectives.Ensuite, on découvre le dévouement de Shéhérazade qui prend le risque de mettre fin à la spirale des assassinats dont sont victimes les femmes qui se marient avec Shahrayar. En effet, ce dernier a décidé de décapiter chaque nouvelle épousée le lendemain de la nuit de noces. Mais c'était compter sans la perspicacité de Shéhérazade et l'aide précieuse de Doniazade, sa s'ur. La connivence des deux s'urs met l'eau à la bouche du roi qui, dès la première nuit, succombe aux charmes des contes de sa nouvelle reine.Les contes commencent avec l'histoire du pêcheur qui, malgré son dénuement, se montre plus futé qu'un génie. Puis les personnages et les intrigues s'enchaînent jusqu'à donner le tournis au lecteur. Le pivot de tous les contes reste le calife Haroun Ar- Rachid, choisi à dessein par Shéhérazade pour montrer au roi Shahrayar qu'il existe des souverains très généreux qui ont le sens du bien commun et ne cherchent que le bonheur de leurs sujets.Les contes rappellent cette manie du calife de se déguiser comme le commun des mortels pour des sorties incognito où il prend le pouls du royaume. Et, c'est lors d'une de ses sorties que le hasard mène le souverain dans la demeure d'une belle dame célibataire vivant avec ses s'urs. Ces belles dames cachent des secrets difficiles à avouer, mais la découverte de l'identité du calife délie les langues. La maîtresse des lieux raconte la cruauté des hommes qui promettent beaucoup avant le mariage avant de se transformer en brutes égoïstes.Ces voix de femmes qui s'expriment par le biais de la chorale des narratrices apportent des éclairages sur la sensibilité féminine et les incompréhensions de l'homme. Et, face à la violence de l'homme, la femme lui oppose un esprit vif, une intelligence hors du commun et une sensualité qui donnent à réfléchir.Dans cette veine, on lira l'histoire de Dalila la maligne. Cette femme qui a perdu son mari se voit interdire de percevoir une petite pension du Trésor public. Aucun fonctionnaire du royaume ne veut la recevoir et satisfaire ses doléances. Elle invente un stratagème qui lui permet de se faire rétablir dans ses droits. De son côté, le portefaix qui ne cesse de trimer comme un forçat oublie sa fatigue et sa condition quand il rencontre les dames où se déroule l'intrigue de cette histoire. Son horizon s'élargit et sa sensualité s'éveille au contact de ses hôtesses. Il sort de l'univers des marchands pour accéder au raffinement et aux choses qui élèvent l'âme.Enfin, le dernier à entrer en scène est Sindbad le Marin. Les aventures du mythique globe-trotter se dégustent toujours avec délectation. Il faut saluer donc la performance de Hanan El-Cheikh qui réussit à tenir le lecteur en haleine toute une nuit. Le dispositif narratif qu'elle met en œuvre fonctionne à merveille et crédibilise son travail novateur. L'introduction par exemple du poète Abu-Nawas dans l'intrigue apporte du piment aux contes par son esprit iconoclaste et ses idées sulfureuses. La Maison de Shéhérazade montre que la littérature peut contribuer à l'enchantement du quotidien, surtout en période de crises et de doutes.Hanan El-Cheikh, «La Maison de Shéhérazade». Traduit de l'arabe (Liban) par Stéphane Dujols. Actes-Sud/ Sindbad, 2014.




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