Algérie

La lutte contre le blanchiment d'argent sale : l'obligation de vigilance des commissaires aux comptes


Publié le 05.01.2023 dans le Quotidien d’Oran
par Saheb Bachagha*
Selon Interpol, le blanchiment de l'argent sale est «une action qui consiste à cacher ou à déguiser l'identité des revenus obtenus illégalement, afin de les faire apparaître comme provenant de sources légitimes».

Il est nécessaire de faire la distinction entre l'«argent noir» et l'«argent sale».

L'argent sale provient d'activités criminelles et illégales et concerne deux grands types d'activités : la drogue et la criminalité organisée.

Pour ce qui concerne l'argent noir, il provient d'une activité licite, mais le bénéficiaire transforme cet argent légal en argent illégal en dissimulant partiellement ou totalement son existence à l'administration fiscale.

La définition empirique

Selon une définition empirique, le blanchiment est un procédé consistant à «blanchir des fonds» qui ont une origine cachée, car illicites, ils ne peuvent donc pas être utilisés en l'état. Ces fonds doivent subir un traitement spécifique, au moyen de divers mécanismes empruntés ou non au monde des affaires, avant d'être investis dans des circuits financiers ou économiques licites.

La définition juridique

Sur le plan juridique, le blanchiment est « un concours d'infractions». Ainsi en droit strict, le blanchiment suppose initialement un concours d'infractions», car il doit être la conséquence d'une infraction initiale, c'est le cas par exemple du trafic de stupéfiants.

Face à la sophistication croissante des mécanismes de blanchiment d'argent sale, l'Algérie s'est mobilisée sur le plan juridique à travers des textes règlementaires et législatifs s'inspirant des conventions internationales qu'elle a ratifiées, il s'agit des recommandations du Groupe d'action financière (GAFI) ainsi que les directives du comité de Bâle sur le devoir de vigilance de la clientèle.

En vue de lutter contre le phénomène du blanchiment d'argent et toutes les nouvelles formes de criminalité économique, l'Algérie a entrepris, depuis quelques années déjà, de réviser tous les textes régissant l'activité économique, notamment la loi relative aux infractions à la législation des changes et au mouvement de capitaux de et vers l'étranger, la loi relative à la monnaie et au crédit, le code des douanes, le code de commerce, le code des marchés publics.

De même, de nouvelles lois visant certaines formes spécifiques de criminalité ont été promulguées. Elles concernent notamment les domaines liés à la prévention et à la lutte contre la corruption, le financement du terrorisme, le trafic de stupéfiants et la contrebande.

A cela s'ajoutent les dispositions introduites au niveau du code pénal et du code de procédure pénale dans l'objectif de rendre plus efficace l'intervention de la justice dans la lutte contre les nouvelles formes de criminalité à travers notamment la création de juridictions spécialisées dans le traitement des affaires de crime organisé.

Les risques de blanchiment de capitaux sont susceptibles d'être rencontrés par les commissaires aux comptes à travers deux types de risques :

- Le concours indirect à une action de blanchiment : le commissaire aux comptes est susceptible de produire certaines attestations au profit des entreprises. De telles attestations pourraient, dans certaines situations, conduire un commissaire aux comptes à concourir indirectement à une opération de blanchiment.

- La non-détection d'une opération de blanchiment de capitaux : à l'occasion de toute diligence mise en œuvre par le commissaire aux comptes, celui-ci est confronté au risque de ne pas détecter une opération de blanchiment de capitaux. A cet égard, il est rappelé que si le commissaire aux comptes n'est pas spécifiquement chargé de rechercher l'existence de fraudes ou d'opérations de blanchiment de capitaux, il doit néanmoins faire preuve de vigilance sur ces sujets à l'occasion des diligences qu'il met en œuvre dans le cadre de sa mission ou de ses prestations. Ainsi, l'identification par un commissaire aux comptes de montages complexes susceptibles d'opacifier des flux financiers ou de présenter un risque de fraude fiscale doit entraîner une vigilance particulière de sa part. Ainsi, plusieurs cas de blanchiment de capitaux peuvent être rencontrés :

I° l'utilisation de sociétés écrans, dont l'activité n'est pas cohérente avec l'objet social ou ayant leur siège social dans un État ou un territoire qui n'a pas conclu avec l'Algérie une convention fiscale permettant l'accès aux informations bancaires, ou à l'adresse privée d'un des bénéficiaires de l'opération suspecte ou chez un domiciliataire;

2° la réalisation d'opérations financières par des sociétés dans lesquelles sont intervenus des changements statutaires fréquents non justifiés par la situation économique de l'entreprise;

3° le recours à l'interposition de personnes physiques n'intervenant qu'en apparence pour le compte de sociétés ou de particuliers impliqués dans des opérations financières;

4° la réalisation d'opérations financières incohérentes au regard des activités habituelles de l'entreprise ou d'opérations suspectes dans des secteurs sensibles aux fraudes à la TVA de type carrousel, tels que les secteurs de l'informatique, de la téléphonie, du matériel électronique, du matériel électroménager, de la hifi et de la vidéo;

5° la progression forte et inexpliquée, sur une courte période, des sommes créditées sur les comptes nouvellement ouverts ou jusque-là peu actifs ou inactifs, liée, le cas échéant, à une augmentation importante du nombre et du volume des opérations ou au recours à des sociétés en sommeil ou peu actives dans lesquelles ont pu intervenir des changements statutaires récents;

6° la constatation d'anomalies dans les factures ou les bons de commande lorsqu'ils sont présentés comme justification des opérations financières, telles que l'absence du numéro d'immatriculation au registre du commerce, l'absence du numéro d'identification fiscale, l'absence du numéro de facture, l'absence d'adresse ou de dates;

7° le recours inexpliqué à des comptes utilisés comme des comptes de passage ou par lesquels transitent de multiples opérations tant au débit qu'au crédit, alors que les soldes des comptes sont souvent proches de zéro;

8° le retrait fréquent d'espèces d'un compte professionnel ou leur dépôt sur un tel compte non justifié par le niveau ou la nature de l'activité économique;

9° la difficulté d'identifier les bénéficiaires effectifs et les liens entre l'origine et la destination des fonds en raison de l'utilisation de comptes intermédiaires ou de comptes de professionnels non financiers comme comptes de passage, ou du recours à des structures sociétaires complexes et à des montages juridiques et financiers rendant peu transparents les mécanismes de gestion et d'administration;

10° les opérations financières internationales sans cause juridique ou économique apparente se limitant le plus souvent à de simples transits de fonds en provenance ou à destination de l'étranger;

11° le refus du client de produire des pièces justificatives quant à la provenance des fonds reçus ou quant aux motifs avancés des paiements, ou l'impossibilité de produire ces pièces;

12° le transfert de fonds vers un pays étranger suivi de leur rapatriement sous la forme de prêts;

13° l'organisation de l'insolvabilité par la vente rapide d'actifs à des personnes physiques ou morales liées ou à des conditions qui traduisent un déséquilibre manifeste et injustifié des termes de la vente;

14° l'utilisation régulière par des personnes physiques domiciliées et ayant une activité en Algérie de comptes détenus par des sociétés étrangères;

15° le dépôt par un particulier de fonds sans rapport avec son activité ou sa situation patrimoniale connue;

16° la réalisation d'une transaction immobilière à un prix manifestement sous-évalué.

Conclusion :

Il n'entre pas dans la mission du professionnel comptable libéral de rechercher des indices de blanchiment de capitaux, au cours des travaux qu'il effectue pour ses clients. Ceci ne l'exonère cependant pas de maîtriser une législation à la fois variée et complexe, et de connaître les techniques utilisées par les blanchisseurs de capitaux. Il pourra ainsi mieux contenir les risques de remises en cause de ses responsabilités, civile, pénale et ordinale.

Le phénomène du blanchiment de capitaux a pris une ampleur mondiale incontestée. Les résultats des études menées sur le sujet démontrent que les blanchisseurs disposent de moyens puissants.

Rien ne permet de penser qu'ils vont infléchir leur démarche. La profession comptable libérale, prudente par nature, va devoir poursuivre la politique qu'elle a d'ores et déjà initiée, tout en devant faire preuve d'un surcroît de discernement face à des opérations éventuellement suspectes. Elle va devoir continuer à être en état de veille, en développant les actions de sensibilisation, de formation et d'échanges d'informations techniques.

Rigueur et modestie doivent guider le comportement des professionnels. Les experts comptables et les commissaires aux comptes interviennent le plus souvent plusieurs mois après la survenance des opérations. Dans de telles circonstances, ils révèleront probablement des opérations suspectes qui auront déjà été déclarées par les établissements bancaires concernés. Toutefois, la profession comptable libérale, consciente de la problématique liée au blanchiment de capitaux, doit continuer à se développer et à se prémunir, tout en fournissant à ses clients des services de qualité et en préservant la défense de l'intérêt général.

*Expert-Comptable et Commissaire aux comptes - Membre de l'Académie des sciences et techniques financières et comptables Paris