Algérie

«La lutte anticancer n'est plus un problème de santé publique mais une question éminemment politique»


Le Pr Messaoud Zitouni revient, dans cet entretien, sur l'importance de la prise en charge du cancer qui doit être faite dans un cadre de concertation en associant les experts. Il affirme ne pas être au courant de la décision relative à la désignation des centres de référence pour la prescription des thérapeutiques oncologiques innovantes. La lutte anticancer est désormais, selon lui, un problème politique et non pas un problème de santé publique.? La prise en charge des maladies cancéreuses constitue une des priorités du gouvernement. La mise en place des centres de référence divise les oncologues, dont certains affirment que cela risque de pénaliser des patients. Qu'en pensez- vous '
Je tiens à vous rappeler que nous avons justement, lors de l'élaboration du Plan cancer 2015-2019, insisté sur cet aspect, qui est pour nous très important, en l'occurrence éviter les inégalités en matière d'accès aux soins.
Le cancer est le type de pathologie, si on ne fait pas attention, on risque de creuser des inégalités en matière de santé, alors que pour traiter des malades qui ont la grippe ou la tuberculose, on peut toujours s'arranger.
? La polémique entre les oncologues à propos de la désignation des centres de référence enfle. Quel est votre commentaire '
J'avoue que je n'ai pas suivi cette polémique, d'autant que c'est une annonce faite comme ça, à l'emporte-pièce, sans aucune explication. Je n'ai pas compris de quoi il s'agit et je dois vous dire que je suis un scientifique et je ne peux pas me prononcer sur des choses que je ne peux analyser.
? On comprend donc que vous n'avez pas été associé à cette décision '
Je n'ai pas à être associé car ce type de décision est prise par des centres de décision, c'est comme cela qu'on les appelle.
Mon travail consiste à présenter un rapport au président de la République sur ce qui a été fait pour la mise en ?uvre du Plan cancer, sur ce qui a été réalisé pour la lutte anticancer et ce qui pourrait être fait en améliorant un certains nombre de choses.
Pour moi, ce qui se passe sur le terrain du point de vue factuel, je ne m'y intéresse que dans la mesure où l'on peut améliorer la mise en ?uvre du Plan et surtout à travers les experts et les groupes de travail.
Jusque-là, je dois rappeler qu'on disposait d'une soixantaine d'unités d'oncologie médicale, dans lesquelles tout le monde prescrit des médicaments, ce qui a conduit à une inflation galopante des thérapies anticancéreuses en quantités physique et financière en déboires des résultats médicaux.
? Selon vous, doit-on limiter la prescription de ces thérapies innovantes '
Nous avons déjà exprimé notre point de vue à ce propos et nous étions contre le fait de saupoudrer de thérapeutiques de cette manière toutes les unités d'oncologie.
Elles sont bien sûr gérées par des oncologues ayant de longues expériences, qui sont d'une grande valeur à Alger, Annaba, Oran, Constantine, mais on a permis à d'autres spécialistes, qui venaient juste de terminer leurs études, dont certains étaient dans le service civil, de prescrire de la même manière des molécules qui coûtent jusqu'à 5000 dollars par mois.
C'est normal qu'on arrive à cette inflation de prescriptions. A cela s'ajoutent les 20 à 25% de déperditions de ces médicaments, car nous ne disposons pas encore d'unité de reconstitution cytotoxique que nous demandons depuis cinq ans. Les résultats étaient prévisibles.
Les propositions que nous faisons dans le cadre de la mise en ?uvre du Plan cancer entrent parfaitement dans ce cadre. De notre point de vue, il faut augmenter et renforcer le financement et, avec la même détermination, optimiser et rationaliser les dépenses, car il y a trop de gaspillage.
Cela doit se faire dans un programme établi par des experts et dans un cadre organisé, à savoir le comité de pilotage créé à cet effet par le président de la République lors de l'adoption du Plan cancer le 25 mai 2015.
? Ce comité de pilotage a-t-il été associé à la désignation des cinq centres, décidée par le ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière '
Non, pas du tout. Je ne suis pas au courant. J'ai lu rapidement dans la presse qu'il y avait trois centres de référence pour la prescription des thérapeutiques innovantes, alors que d'autres disent cinq ou six sans aucune explication. Je ne sais pas réellement ce qui a été décidé.
Je pense qu'on ne peut pas, avec tout le respect que je dois aux journalistes, réfléchir scientifiquement de manière rationnelle à ce qui s'écrit. A mon avis, il faut un rapport établi par des experts avec un exposé des motifs, une évaluation de ce qui s'est fait, des expertises, notamment une expertise médicale et financière et, surtout, pour le cancer, une édification éthique et morale.
? Vous êtes donc favorable à l'idée, mais selon vous, elle doit être proposée dans un cadre organisé?
On ne peut pas être mieux que les Anglais, les Américains, les Belges qui sont actuellement sur la voie de la réflexion en confiant ce type de travail à ce genre de comité. Leurs propositions seront étudiées et exposées aux différents centres qui prennent des décisions qui ne sont pas techniques, comme on est en train de le penser, mais des décisions politiques.
Il faut comprendre que maintenant, il y a une étape au point de vue intellectuel et stratégique qui vient d'être franchie dans les pays développés, où l'on ne considère plus la lutte contre le cancer comme un problème de santé publique, mais éminemment politique. Le cancer est un problème politique.
Les techniciens ont leur mot à dire, mais c'est surtout le caractère politique qui prime car il y a des choix d'avenir pour les malades cancéreux et les générations à venir. Il faut savoir que ce sont des choix stratégiques qui doivent être pris et qui sont parfois difficiles, voire douloureux.
On ne pas annoncer de manière aussi légère des décisions, comme cela est fait jusqu'à présent. C'est d'ailleurs à cause de tous les dysfonctionnements constatés dans les années 1990, 2010 et 2012 que le président de la République a décidé de la mise en place du Plan cancer, qu'il m'a confié et je l'en remercie énormément.
Il a fait adopter ce Plan en Conseil des ministres comme cela s'est fait ailleurs dans le monde, on insistera jamais assez la dessus. Il est donc clair que les travaux du comité de pilotage, de mise en ?uvre et de suivi du Plan cancer est l'affaire de tout le gouvernement et nous n'arrêterons pas de travailler jour et nuit pour mettre en place les jalons d'une meilleure prise en charge des malades algériens et de la lutte anticancer.
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