Algérie

La lourde ardoise des banques



Les banques n'ont pas de réel pouvoir décisionnel dans l'octroi de certains crédits, ce qui aggrave l'accumulation de créances douteuses et d'impayés.Dans son rapport annuel 2020, la Cour des comptes met sous les feux de la rampe la gestion des crédits bonifiés par la Badr (Banque de l'agriculture et du développement rural), source d'un important stock de créances compromises.
L'institution pointe en particulier une hausse exponentielle des impayés de la banque détenus par le secteur privé et des dispositifs aidés (Ansej, Cnac et Angem), l'absence de retour sur investissement, des décisions d'octroi de crédits qui échappent, par moments, aux organes de la banque et des insuffisances flagrantes dans la gestion du dispositif de bonification des taux d'intérêts par la Badr.
La croissance des créances compromises à partir de 2015 était due à la mortalité élevée des projets, "particulièrement pour ceux dont la décision d'octroi de crédits ne relève pas, exclusivement, des organes de prise de décision de la banque", note la Cour des comptes.
Cela concerne particulièrement les crédits accordés dans le cadre du dispositif aidé (Ansej, Cnac, Angem) où la décision d'octroi de crédit est prise par les commissions habilitées présidées par les walis, alors que pour ceux consentis aux EPE (Entreprises publiques économique), la décision d'octroi est du ressort du Conseil des participations de l'Etat (CPE) et des services du Premier ministre.
La Cour met en cause la multiplication des centres de décision dans l'extension significative du portefeuille global des engagements de la banque à court, à moyen et à long terme. Ceux-ci sont passés de 313,106 milliards de dinars en 2011 à 825,845 milliards de dinars en 2017.
"Cette évolution n'a pas été suivie par une relance significative de l'investissement productif, car les financements accordés sont confrontés à des difficultés de remboursement engendrant, ainsi, une mortalité des projets élevée", déplore la Cour des comptes, soulignant, dans la foulée, que "les organismes de garantie mis en place par les pouvoirs publics, pour protéger les intérêts des intermédiaires financiers, ne jouent pas pleinement le rôle qui leur est confié".
Entre le bond des engagements de la Badr entre 2011 et 2017, l'évolution importante des crédits bonifiés et l'absence de retours sur investissement, la qualité du portefeuille de la banque s'est nettement détériorée en raison de la hausse des créances compromises.
"Le montant des crédits d'investissement bonifiés accordés durant la période considérée a enregistré une évolution importante d'un exercice à un autre, passant de 99,331 milliards de dinars en 2011 à 582,997 milliards de dinars en 2017."
Des décisions de crédits échappant à l'autorité bancaire
Le montant des impayés relatif au secteur privé est passé de 81,953 milliards de dinars en 2011 à 100,999 milliards de dinars en 2017. Quant aux dispositifs aidés, celui-ci a enregistré un montant de 17,518 milliards de dinars de crédits impayés en 2011 contre 53,606 milliards de dinars en 2017. "Cette situation est due au fait que la banque n'avait pas de pouvoir décisionnel dans l'octroi de ce type de crédits", souligne la Cour des comptes.
"En effet, les demandes de financement relatives aux dispositifs aidés sont étudiées par les commissions de wilaya habilitées dont la banque est membre ordinaire. Par conséquent, sa voix n'est pas prépondérante dans les décisions d'octroi des crédits aux jeunes promoteurs", soutiennent les magistrats de la Cour.
Vivement critiquée ces dernières années, aussi bien par les économistes que par les banquiers eux-mêmes, l'intrusion des politiques dans la gestion des banques a souvent été à l'origine de bien des scandales.
Le financement des projets Ansej, Cnac et Angem sans une évaluation des paramètres de rentabilité et de viabilité par les organes des banques est l'une des sources directes de la hausse des créances douteuses des banques.
La Badr n'est que l'arbre qui cache la forêt. De 16,3% à la fin 2016, le ratio de solvabilité des fonds propres durs a diminué à 15,2% à fin 2017, alors que la proportion brute des prêts improductifs était passée de 11,9% à 12,3% des prêts totaux à la fin 2017, avait alerté le FMI.
Ce n'est pourtant pas faute d'avoir beaucoup financé, fait constater la Cour des comptes, qui précise qu'il s'agissait plutôt d'une mauvaise gouvernance du dispositif de bonification des taux d'intérêts destiné aux dispositifs aidés et aux EPE.
Preuve en est que le montant des impayés, notamment pour l'Ansej, est passé de 16,187 milliards de dinars en 2011 à 43,035 milliards de dinars en 2017, lit-on dans le rapport de la Cour des comptes. Cette institution souligne que le stock des créances compromises a enregistré une évolution importante à partir de 2015.
"En effet, son stock est passé de 88,333 milliards de dinars au 31 décembre 2011 à 165,191 milliards de dinars au 31 décembre 2017, soit une évolution qui avoisine les 100%", fait constater la Cour. Cette situation est engendrée par le faible niveau du recouvrement (amiable et judiciaire) pour toutes les catégories de créances confondues.
"À titre d'exemple, le montant recouvré des créances douteuses durant l'exercice 2011 est de 1,160 milliard de dinars et 972 millions de dinars au 31 décembre 2017", précise l'institution. Il ne s'agit, bien évidemment, que d'une seule banque, la Badr en l'occurrence, alors que le constat semble être général ; celui d'une dégradation nette de la qualité des portefeuilles des banques en raison de la hausse des créances sur les entreprises publiques et privées, ainsi que des engagements à long terme en période de baisse des liquidités.

Ali TITOUCHE


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)