Algérie

La loi sur les hydrocarbures jugée positive par les experts



La loi sur les hydrocarbures, approuvée par le gouvernement Bedoui et présentement sur le bureau de l'Assemblée nationale (APN), a été, hier mercredi, au centre des communications des experts invités au siège du MSP (Mouvement de la société pour la paix), «pour éclairer l'opinion publique». C'est, en l'occurrence, ce qu'a déclaré Abderrezak Makri, le président du parti islamiste, à l'ouverture de la séance en présence de ses cadres.Présente en masse, la presse n'était pas en reste comme pour signifier l'importance de la journée d'étude. Il est vrai aussi que le sujet est d'une grande sensibilité et d'une actualité brûlante. Pour ce faire, Abdelmadjid Attar, ex-boss de la toute-puissante Sonatrach, et Farid Tyr, professeur d'économie, ont été à la man?uvre. Mais, d'ores et déjà, ce qu'il faut retenir des interventions de ces deux experts, c'est le contenu globalement positif de la loi décriée haut et fort par le Hirak parce que vue comme un bradage de l'économie du pays et une hypothèque sur l'avenir de tout un peuple, générations futures incluses.
Visiblement, cette loi très controversée enflamme les passions. Elle est vue comme une loi scélérate qu'un gouvernement ,au demeurant illégitime, tente de faire passer. C'est dans un ton apaisé, eu égard aux vociférations des opportunistes, que le Dr Attar, qui connaît bien son sujet, va choisir de faire ressortir les points forts ainsi que les failles de cette loi. Mais déjà, des faits frappent par leur évidence et sont mis en avant par les deux spécialistes.
Ainsi, une alerte sérieuse : il s'agit de la baisse continue de la production depuis, dit-on, 2008 d'une part, et de l'autre, la hausse de la consommation énergétique nationale (ménages et les autres secteurs ? industries, administrations). Situation aggravée par l'absence d'une politique nationale énergétique qui suscite moult interrogations, quand bien même cela a été évoqué lors de la conférence du FCE (Forum des chefs d'entreprises) en 2016, tenue à l'hôtel El-Aurassi, observera le Dr Attar.
En chiffres, cela signifie, dans cette logique de démonstration, que, dès 2022 (c'est-à-dire dans moins de trois ans !), la rente pétrolière va drastiquement baisser et qu'en 2030-35, l'Algérie sera condamnée à recourir aux importations de gaz naturel pour ses besoins énergétiques.
La réalité est là : nous consommons 60% des réserves en gaz ! Situation aggravante, rien de palpable n'est fait pour assurer une transition énergétique susceptible de garantir un tant soit peu l'avenir (il sera question des exemples de la Norvège, l'Indonésie, la Malaisie) qui ont réussi à tirer leur épingle du jeu en se libérant de la dépendance des hydrocarbures.
Pourtant, dira le premier conférencier, deux articles d'importance dans le décret 95/02 disposent que le Conseil national de l'énergie (CNE) est chargé de veiller à long terme sur la politique nationale en matière d'énergie. Il se trouve, s'étonne le Dr Attar, que le CNE n'a jamais été, ni consulté ni ne s'est réuni !
En 1997, il indique à une assistance tout ouïe, qu'un dossier a été ficelé pour l'exportation de 60 milliards de mètres cubes, mais dans une conjoncture défavorable avec 10 dollars le baril de pétrole, sachant que le prix du gaz algérien lui était indexé.
«Sonatrach ne peut financer l'optimisation des puits existants»
L'avenir n'est guère reluisant. A l'horizon 2040, la production nationale sera à 100 % consommée en interne, si on ne change pas au plus vite notre modèle énergétique. Aujourd?hui, Sonatrach a de gros problèmes financiers.
La loi soumise à l'Assemblée nationale (une simple caisse d'enregistrement) viendrait apporter des palliatifs à défaut de solution de fonds pour répondre à l'équation augmentation de la production et découverte de nouveaux champs pétroliers. Probabilités à écarter quant à d'éventuelles capacités du niveau de Hassi Messaoud et Hassi R'mel. Cela est clair et admis par les experts intervenants. Sonatrach ne peut financer l'optimisation des puits existants, lesquels, au demeurant, ont besoin d'un bon lifting.
Un partenariat ici risque de s'avérer très dangereux, d'autant que les partenaires étrangers sollicités par les contrats définis par cette loi ne s'impliqueront pas dans les investissements d'exploration et de recherche de nouveaux champs pétrolifères. Par ailleurs, dans certaines de ses dispositions, 86-14, il est prévu 3 sortes de contrats dont la baisse des taxes qui serait improductive parce que le partenaire (national ou étranger) n'y trouve pas son compte, d'où sa faiblesse. Dans le partage de la production prévu, Sonatrach garderait les mains libres sauf qu'elle pourrait être le dindon de la farce au cas où les multinationales mettraient leurs intérêts en commun. Le cas Total-Anadarko est un cas d'espèce, le dossier de cette affaire restant ouvert et source de conflit à venir dans un rapport de force qui n'est pas en faveur de l'Algérie à l'heure actuelle. C'est dire qu'il est capital de baliser le terrain juridique afin de se prémunir de toute entourloupette d'entreprises qui ne considèrent que leurs propres intérêts.
Dans cette question de concessions, qui contiendrait des points positifs, estime-t-on, Sonatrach, à travers les articles 8-53, garderait la propriété des réserves et, dans le partage de la production (49%), elle reste maître à bord jusqu'au port d'embarquement de la production. Mais cette loi est-elle suffisante pour prévenir tout risque ' Le professeur Farid Tyr y voit là un piège qui peut mener (à ses détriments) l'entreprise nationale directement à l'arbitrage international. Rien n'est clair quant à la formule de gré à gré, estime-t-il. Si cette loi peut profiter financièrement dans le court terme pour renflouer ses caisses, la situation ne va pas, pour autant, s'améliorer, elle restera en l'état.
Un état de grâce de 5 ans vite dépassé. Et pour garder les pieds sur terre, il faut reconnaître que les entreprises étrangères ne vont pas se bousculer au portillon de Sonatrach, compte tenu de l'instabilité politique actuelle et un climat des affaires des plus décourageants. Bien sûr, la loi contient d'autres artifices techniques que les communicants se sont efforcés de démonter, plaidant pour une transition et la sécurité énergétique. Compte tenu du contexte actuel, nos experts affirment qu'il aurait fallu attendre de meilleures conditions pour la promulgation d'une loi de cette importance, parce que engageante pour les générations futures, «il n'y a pas lieu de se presser, il n'y a pas d'urgence», diront-ils.
L'économiste Farid Tyr admet que cette loi sur les hydrocarbures contient des aspects positifs mais doit faire l'objet d'une nouvelle lecture et être approfondie. Il dénonce l'anachronisme qui fait de Sonatrach un Etat dans l'Etat, son statut qui fait qu'elle échappe à l'administration fiscale, son rôle de régulateur de l'économie qui doit être le propre de l'Etat comme dans d'autres pays. Dans sa communication enflammée, Farid Tyr s'interroge sur le modèle économique de Sonatrach, ses énormes prérogatives, son statut qui est mis hors contrôle du ministère de tutelle et donc du gouvernement. Il lâche alors cette lourde sentence : «Sonatrach va au-devant de la catastrophe !».
Le président du parti islamiste, lui, ne mâche pas ses mots dans une virulence digne des grands meetings sur la place publique. Il n'hésite pas à rejeter, en gros et dans le détail, cette loi sur les hydrocarbures qui n'est pas du ressort de ce gouvernement illégitime. Aux responsables qui ont succédé aux commandes du pays, il lance, péremptoire : «Vous avez échoué, avouez-le.» Qui donnait les ordres ' Qui les exécutait' interrogera-t-il. Il exige un débat national sur une politique nationale qui mettra l'accent aussi sur l'efficacité énergétique. Puis comme las de tant d'incuries : «Nous sommes en pleine non-gouvernance.» Politisant à bon escient la question du jour, Abderrezak Makri roule sur du velours pour avancer ses pions, arguant qu'il nous faut « un gouvernement d'entente nationale, sinon aller vers une démocratie véritable». Il fait sien l'argument du Hirak. Pour lui, le mouvement populaire pour la fin du système politique actuel a offert une chance aux tenants du pouvoir pour changer, mais il a préféré se perpétuer. A propos des perspectives post-présidentielle du 12 décembre, il prévoit le pire, car aucun gouvernement, qui n'est pas soutenu par une base populaire la plus large possible, n'ira au-devant des problèmes. Les Algériens, observera-t-il, sont sortis pour la dignité et la honte d'un Président muet, invisible et lourdement handicapé. Le président du MSP s'étalera aussi longuement sur l'importance vitale pour le commun des Algériens quant à la protection de cet outil irremplaçable qu'est la Sonatrach dans la préservation de leurs conditions de vie.
II base son argumentaire sur le fait que 98% de l'électricité domestique et industrielle sont assurés par le gaz,ainsi que 70% de nos salaires. «Sonatrach, c'est l'Algérie», clamera-t-il. Qu'en sera-t-il à l'avenir ' demandant si cette loi qui donne 50% de notre production des hydrocarbures est offerte aux multinationales. Il conclut alors : «Cette loi est une tromperie.» Abderrezak Makri prend à témoin qui veut le suivre. On serait tout de même tenté de poser la question : où était-il, lui et son parti, toutes ces dernières années sachant aussi que son parti a fait partie, longtemps, de la coalition gouvernementale ' Vociférations ' Rien ne l'empêche, toutefois, de surfer sur la vague appelée Hirak. Et c'est tout l'art de tenir le bâton au milieu, selon une formule en cours ces derniers temps.
Brahim Taouchichet


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