Publié le 08.06.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie
Par le professeur Ziri Abbes
Après des années passées à la tête du CHU Nédir-Mohamed de Tizi-Ouzou, le Pr Ziri Abbes est actuellement responsable du Certa. Il est quotidiennement sur le terrain, en guerre contre les stupéfiants qui détruisent des familles entières. Dans cette contribution, il aborde le volet juridique de la lutte contre ces fléaux et il donne quelques détails du travail accompli au niveau de sa structure.
Après l’indépendance, l’Algérie était un pays de transit de drogues, mais malheureusement en l’espace de quelques années, nous sommes passés d’un pays de transit à un pays de consommation. C’est dans ce contexte que notre pays a ratifié les conventions internationales concernant la lutte contre la drogue et la toxicomanie, notamment la convention sur les substances psychotropes de 1971 adoptée par la conférence des Nations unies à Vienne. Parallèlement à ce déploiement à l’internationale, l’arsenal juridique algérien a été adapté au contexte actuel par la mise en place d’un dispositif juridique adéquat. Au fil des années, ce dernier a évolué pour s’adapter aux mutations sociales d’où l’amendement de lois, particulièrement la loi n°04-18 du 25/12/2004 relative à la prévention et à la répression de l’usage et du trafic illicites de stupéfiants et de substances psychotropes. Celle-ci a été, à son tour, complétée et modifiée par la loi 23-05 du 7 mai 2023.
La loi 23-05 du 7 mai 2023 est plus orientée vers des mesures préventives que répressives
Dans cette optique, la loi 04-18 du 25/12/2004 introduit l’injonction thérapeutique comme une disposition légale qui sera renforcée par la loi 23-05 notamment dans l’article 6 qui la définit comme une obligation de soins aux toxicomanes pratiqués dans des structures spécialisées comme le Certa (centre d’études, de recherche et de traitement des addictions). Ce traitement par injonction thérapeutique leur évite ainsi les sanctions pénales d’emprisonnement. Dans ce cas, l’injonction thérapeutique prend la forme d’une mesure de soins pénalement ordonnés comme une cure de désintoxication ou de surveillance médicale.
Des mesures curatives
Les dispositions de l’article 6 de la loi n°04-18b du 13 dhou el-kaâda 1425 correspondant au 25 décembre 2004 susvisée, sont modifiées, complétées et rédigées. L’article 6 stipule ainsi que «l'action publique n'est pas exercée à l'égard des personnes ayant consommé des stupéfiants ou des substances psychotropes lorsqu'il est établi qu'elles se sont soumises à une cure de désintoxication ou à une surveillance médicale, à compter de la date de la commission des faits qui leur sont reprochés».
Aussi, cette mesure de soins ou de surveillance médicale destinée aux toxicomanes peut être prononcée par le juge d’instruction ou le juge des mineurs. Il faut savoir que la loi algérienne ne fixe pas une durée à cette thérapeutique contrairement à la loi française qui, elle, limite cette durée à 6 mois renouvelables trois fois.
L’article 5 bis 6 stipule que «l’État garantit aux toxicomanes, la protection, la sauvegarde et le soutien médical et psychologique, par le biais des institutions publiques ou celles de la société civile activant dans ce domaine afin de garantir leur réinsertion dans la société. Une garantie qui est assurée par l’implication de plusieurs acteurs définis, eux, dans l’article 5 bis 3. Où il est cité, les administrations, les institutions publiques et les collectivités locales comme responsables de l’élaboration de plans de travail en coordination avec l’Office des programmes sectoriels et intersectoriels de prévention de l'usage et du trafic illicites de stupéfiants et de substances psychotropes découlant des dispositions de la stratégie nationale. D’autres intervenants sont également impliqués dans ce processus à l’instar des médias qui doivent, selon l’article 5 bis 4, d’inclure dans leurs programmes, la prévention de l'usage et du trafic illicites des stupéfiants et des substances psychotropes.
Par ailleurs, le cas des mineurs est, lui, pris en charge par l’article 6 bis que stipule que l’officier de police judiciaire doit soumettre, à un examen, le mineur suspecté d’être sous l’influence de stupéfiants ou de substances psychotropes à une analyse médicale, en présence de son représentant légal ou, le cas échéant, de son avocat et en informer le procureur de la République. Au cas où l’analyse médicale révèle que celui-ci est toxicomane, le procureur de la République ordonne qu’il soit soumis à une cure de désintoxication selon les modalités déterminées par l’examen médical, soit dans un établissement spécialisé, soit à l’extérieur sous contrôle médical. Il faut savoir qu’un mineur ayant suivi la cure de désintoxication conformément aux dispositions de l’article 6 et de l’article 6 bis est exempté de toute poursuite pénale.
La prise en charge médicale
Les malades reçus en consultation d’addictologie bénéficient d’évaluations somatiques, psychiatriques, psychologiques ainsi que d’explorations biologiques et radiologiques. Après évaluation, les médecins décident d’une prise en charge en ambulatoire ou en cure hospitalière. Si le patient présente une addiction avérée avec des comorbidités, la cure de sevrage dure de 2 à 3 semaines. S'il s’agit d’un mésusage sans addiction avérée, la prise en charge se fait en consultation ambulatoire avec une périodicité de 2 à 3 semaines.
Enfin, le magistrat requérant est informé régulièrement sur l’état de santé et du suivi du patient à travers des comptes-rendus médicaux circonstanciés.
Quelques données de prise en charge au niveau du CERTA de Tizi-Ouzou
Depuis le 3 décembre 2023, la structure a reçu et pris en charge, dans le cadre de l’injonction thérapeutique, 43 patients consommateurs de substances psychoactives. Les données analysées sur les patients sont d’ordre sociodémographiques dont notamment les circonstances et modalités de consommation des SPA ainsi que les moyens et les techniques de leur prise en charge. À l’issue du processus d’analyse, un profil type de ces patients est dressé.
Il convient par ailleurs de souligner que la tranche d’âge où se concentre la plus grande proportion des patients suivis au Certa oscille entre 30 et 40 ans, tous du sexe masculin et d’un niveau scolaire moyen. Il faut mentionner aussi que les patients traités sont en majorité célibataires venus de Boumerdès (24 patients), Tizi-Ouzou (15), Alger (2), Bouira (1) et Blida (1).
La plupart des patients ont un logement durable partagé avec leurs familles à l’exception d’un mineur sans domicile fixe, orienté du centre de Boukhalfa. Les sans-emploi fixes étaient plus représentés mais, il y avait également des ouvriers, deux étudiants, un cadre supérieur et une femme au foyer. La majorité ne bénéficiait d’aucune couverture sociale ni assurance maladie. Douze patients avaient des antécédents judiciaires dont sept incarcérés antérieurement. L’analyse de données a enfin révélé que le cannabis est la substance la plus consommée, talonné par la prégabaline et l’alcool. Il faut enfin faire remarquer qu’après leur cure de désintoxication, tous les patients ont été réinsérés socialement.
Z. A.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 08/06/2024
Posté par : rachids