La logique du boulier
Dans cette image réside l?un des nombreux paradoxes algériens ; par une fine pluie d?avril, la victime d?un acte terroriste, rescapée entre-temps, et le responsable du même acte terroriste, repenti entre-temps, se retrouvent dans la même pièce, isoloirs séparés, pour glisser une enveloppe blanche dans l?étroite fente du destin. Dans l?enveloppe, un même nom, Abdelaziz Bouteflika, un nom de président de la République. Bourreaux et victimes ont voté pour le même homme, à 85%. A l?audimat, la grille des programmes Bouteflika est donc la meilleure et un référendum sur l?amnistie passerait haut la main. Pourquoi alors le faire ? Parce qu?il faut le faire, c?est la bureaucratie démocratique, la question n?étant plus de savoir si les Algériens voteraient oui, mais surtout pourquoi ils adhéreraient à cette opération de blanchiment d?agents sales ? « On n?oublie pas le bien, mais on oublie le mal », telle est en gros la devise en cours depuis ces derniers milliers d?années de malheurs. Si chacun se rappelle la victoire de l?équipe nationale sur l?Allemagne en 1982, minute par minute, tout le monde a oublié ses nombreuses défaites. Si chacun se rappelle l?époque Boumediène où le chômage était interdit, tout le monde a oublié ses coups de matraque. Si chacun se rappelle ce jour d?indépendance de 1962, tout le monde a oublié ces soldats algériens de l?armée française qui tiraient sur leurs compatriotes, la preuve en est qu?ils occupent aujourd?hui des postes de responsabilité. Si chacun se rappelle la fin du terrorisme, tout le monde a oublié combien en sont morts. 100, 150 ou 200 000 morts ? Peut-on encore savoir compter le temps en oubliant ? Peut-être. La mémoire est un luxe pour les sociétés prospères et heureuses, pas pour les peuples pauvres et malheureux. C?est connu, un ordinateur ne peut fonctionner sans mémoire. Un boulier, si.
Posté Le : 20/11/2004
Posté par : sofiane
Ecrit par : Amari Chawki
Source : www.elwatan.com