Dans cet entretien, Nadira Naït Ouyahia revient sur son premier recueil de poésie qui vient de paraître aux éditions La Pensée. Avec une pluie d'hommages aux illustres femmes et hommes qui ont façonné l'histoire et les révolutions, cette poétesse d'un rare talent nous livre sa "philosophie" qui a jalonné ce recueil aussi original que captivant.Liberté : Vous venez d'éditer un recueil de poésie intitulé Udem n waggur ou l'éclipse que vous avez placé sous la thématique de la révolte et des causes justes. Pourquoi ce choix '
Nadira Naït Ouyahia : Mon recueil de poésie Udem n waggur ou l'éclipse est un hommage à tous les poètes et à toutes personnalités historiques qui se sont éclipsés très jeunes pour la plupart, laissant derrière eux un héritage important. J'ai choisi le thème de la révolte pour saluer justement le combat de ces hommes et de ces femmes qui ont marqué l'Histoire. Les poètes révoltés sont toujours réduits au silence. Faire taire un poète suscite déjà en nous ce sentiment d'indignation qui est à l'origine de toutes les révoltes. La littérature et l'Histoire sont intimement liées. Pour moi, la poésie est aussi une façon de raconter l'Histoire.
Vous avez dédié votre recueil à la mémoire d'Amar Ould Hamouda, de Mouloud Mammeri, de Matoub Lounès, des femmes résistantes et de plusieurs personnages qui ont façonné l'Histoire et le combat pour les libertés. Comment cette idée vous est-elle venue '
Ce premier recueil est dédié à la mémoire d'Amar Ould Hamouda qui est un parent à moi. J'ai constaté que mis à part le livre de feu maître Ali Yahia Abdenour dans lequel il lui rend un vibrant hommage en apportant un témoignage pertinent, il n'existe aucun reportage, documentaire, chanson ou poème connu pour célébrer ce grand militant qui était l'un des premiers à appeler à la lutte armée pour libérer le pays du joug colonial. L'idée m'est venue lors d'une conversation avec le frère d'Amar dont je suis très proche. Je me trouvais bouleversée par les événements tragiques et douloureux qui ont touché cette famille. Cependant, nous ne pouvons pas aborder le thème de la révolte sans évoquer le courage de Fatma n Soumeur, le sacrifice de Tahar Djaout ou le Rebelle Matoub Lounès qui mérite d'être cité aux côtés de Rimbaud, de Baudelaire, d'Ossip et autre Mandelstam.
Vous évoquez également des sommités de la littérature universelle comme Anna Akhmatova, Albert Camus, Arthur Rimbaud, Victor Hugo, Paul Eluard et autre Baudelaire. Que vous inspirent-ils '
Partant du principe que la poésie est universelle, je pense qu'il existe quelque part un point vers lequel tous les poètes du monde peuvent converger.
Je veux montrer, en citant Mouloud Mammeri à côté de ces grands noms de la littérature, que Mammeri est pour la littérature algérienne ce qu'est Hugo pour la littérature française. Si le français est la langue de Molière, on peut dire que tamazight est la langue de Mammeri. Ma poésie est inspirée de la poésie kabyle ancienne dont le rythme m'a bercée toute ma vie. Même quand j'écris en français m'inspirant de tous ces grands poètes, c'est cette petite
musique kabyle que j'entends.
Votre recueil est écrit dans deux langues, tamazight et le français. Aussi, il est génialement illustré par José Corréa pour donner une meilleure visibilité aux personnages auxquels vous avez rendu hommage. Peut-on en savoir un peu plus '
Je pense que pouvoir écrire dans deux langues différentes est un avantage du fait qu'on peut avoir un lectorat varié et toucher des publics différents (ou un public plus large). Mon objectif est aussi d'inciter ceux qui n'ont pas l'habitude de lire en tamazight à faire cet effort en suscitant leur curiosité. Aussi, je voulais que mon recueil soit illustré de façon à mettre en valeur ces personnages. L'artiste José Corréa a accepté de me faire le portrait d'Arthur Rimbaud après avoir lu le poème qui lui est dédié. Il m'a ensuite exigé de lui envoyer les autres textes pour juger de la qualité de ma poésie. C'est comme cela que les autres portraits ont suivi. Je le remercie au passage d'avoir cru en moi et de m'avoir encouragée à aller au bout de mon projet. Pour ceux qui ne le connaissent pas, José Corréa est un peintre, illustrateur et poète français de parents portugais. Il a illustré de nombreux ouvrages et portraits, comme Miler, Camus, Giono, Céline, Rimbaud,
Ferré, Vian et Aragon.
Quid du premier sonnet kabyle que vous avez dédié au Roi de Koukou '
Je me suis lancé le défi d'écrire un sonnet alexandrin en kabyle, sachant que c'est une forme complexe qui n'existe pas dans la poésie kabyle, pour démontrer que tamazight peut s'adapter à des formes étrangères et la hisser à son statut de langue. Le but aussi est de signaler le rôle de la poésie dans la promotion des langues. C'est grâce à la poésie et à l'adaptation de cette forme que les premiers poètes de la Pléiade ont contribué à l'enrichissement de la langue française et ont fait d'elle une langue de la littérature et du savoir indépendante du latin. Ce premier sonnet kabyle est dédié au Roi de Koukou, Ahmed Ath lqadhi, qui était Roi d'Alger, et à ses enfants, pour ne citer que ces trois rois, issus de cette dynastie qui a duré près de trois siècles.
Entretien réalisé par : FARID BELGACEM
Bio-express
Née en 1979 à Aïn El-Hammam, en Haute-Kabylie, Nadira Naït Ouyahia, originaire d'Aït Hichem, un village réputé mondialement pour son tapis, a adhéré à l'association de son village dès l'âge de 9 ans, où elle a découvert les littératures algérienne et française. Faisant partie d'une chorale, elle a participé à plusieurs rencontres et récitals poétiques. Après son succès au baccalauréat, elle a décroché une licence en langue anglaise à l'université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou. Après une courte carrière professionnelle dans le secteur de l'aérien, elle s'inscrit à l'Ecole de formation en techniques de gestion (EFTG), où elle a décroché un diplôme d'ingénieur d'affaires en marketing & management.
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Posté Le : 31/10/2021
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Farid BELGACEM
Source : www.liberte-algerie.com