Algérie

La littérature arabe: une œuvre sur l’après 11 septembre 2001



L’Arabe se dévoile à «Chicago» Avec une rigueur et un souffle balzaciens, Alaâ Al-Assouani dépeint pour le large public la société égyptienne -par extrapolation on peut y retrouver la nôtre aussi. Après son roman controversé, «L’immeuble Yacoubian», il s’impose cette année sur la scène littéraire arabe avec un roman dense, volumineux, intitulé «Chicago». Manifestement, l’auteur se veut être de notre temps par les sujets qu’il développe. Chez lui, pas de recours (comme il est de mode) à la mémoire collective, à l’histoire, au patrimoine, ni aux structures romanesques modernes. Il est comme guidé de près par une nécessité de dire clairement et une patiente composition qui laisserait mieux percevoir une réalité actuelle. Sa démarche est la même dans les deux livres en question: se donner un microcosme dans un espace circonscrit et une situation globale déterminée; un microcosme, c’est-à-dire un micro-univers, dont les éléments illustrent, dans leur interactivité, l’Egypte(ou les Egyptiens) par rapport à une ou plusieurs questions du moment. A partir de là, se construit le récit, fait de choses récurrentes dans la vie, selon un découpage qui rappelle celui du scénario de film de cinéma. Et c’est les relations des personnages entre eux et avec la réalité du milieu où ils évoluent qui vont faire éclater (dans une tension dramatique, dans le cas de ces deux romans), ce qui hante la société comme questionnement, conflit, absurdité. Sans doute qu’une œuvre qui décrit de la sorte sans complaisance une société, expose ses tares et ses illusions avec une crudité, un langage simple et une composition qui la destine à être lue par un grand public, dérange. C’est parce qu’elle est ainsi une mise à nu émouvante, en plein air en quelque sorte, que nombre de spécialistes littéraires frileux y ressentent une sorte d’insolence et de triviale provocation. Rappelons que «L’immeuble Yacoubian», à sa parution, avait donné lieu à une grande polémique en Egypte, parvenue jusqu’à la chaîne El-Djazeera. Certains critiques lui dénièrent le statut d’œuvre littéraire, lui reprochant de diffamer des personnes encore vivantes. Le livre finit par avoir un retentissement auprès du large public et fut traduit en français puis publié en 2006 par Actes Sud. «Chicago», dont nous avons lu la version arabe, paru en 2007, est à son huitième (voire davantage) tirage aujourd’hui, et sa parution en langue française est annoncé chez le même éditeur d’Arles. Quoi en retenir? Nous sommes après le 11 septembre 2001. L’ensemble des étudiants de la mission égyptienne en post-graduation à Chicago, n’est pas homogène: les profils, les motivations d’études, les positions politiques, les passés et les visions sur les Etats-Unis, les rapports au régime égyptien des uns et des autres sont différents. Ces étudiants vont côtoyer un groupe d’enseignants américains dont quelques-uns sont d’origine égyptienne; si les professeurs américains de souche diffèrent quant à leur attitude envers les arabes, ceux d’origine égyptienne, eux, ont des rapports très conflictuels à la fois avec le régime en règne sur terre natale et avec leur identité d’origine, ou ce qu’ils en gardent dans leur inconscient. L’auteur ajoutera, comme «carburant» à son histoire, une visite annoncée du chef de l’Etat égyptien aux USA. Par cette mise en rapport de personnes aussi diverses que complexes et un espace humain étranger (plutôt hostile; souvent ignorant des causes de ses réalités et moins libre que ne le fait croire la propagande américaine) vont naître des situations qui feront apparaître de façon incisive des comportements, ou laisser s’énoncer des discours (absurdes) envers les arabes d’un côté, et de l’autre côté les différentes réactions de ces derniers envers les Etats-Unis en tant qu’Etat mais aussi en tant que mode de vie et laisser se dévoiler davantage leur position envers le régime de leur pays et de leur culture d’origine -non sans bassesse parfois. Un roman finalement où tous les Arabes peuvent se retrouver, tant la situation de déchirure de ceux vivant en Occident est la même et le regard que celui-ci porte sur eux s’est en quelque sorte uniformisé, depuis le 11 septembre 2001 surtout. Le roman vaut par le fait qu’il met en évidence ceci: libéré du système restrictif des libertés de son pays, libéré des pressions de son pays comme d’une maligne autocensure, nos différences avec les nôtres s’affichent mieux; mais les tentatives de récupération sur telle ou telle question nous guette encore plus d’un côté comme de l’autre. Chicago est le roman de la mise à nu de nouvelles épreuves, celles de l’espace étranger et des hostilités culturelles les plus aveugles, de nos solidarités ou de nos conflits nationaux. Mohamed Sehaba


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