Algérie

La liberté sur tous les tons


De nombreux artistes ont pris part au mouvement de protestation qui secoue l'Algérie depuis le 22 février. Résidant ici ou à l'étranger, ce sont surtout les chanteurs qui ont exprimé un soutien indéfectible à la révolte à travers des textes et des clips au vitriol.Parmi les initiatives artistiques qui ont marqué les réseaux sociaux depuis le 22 février, le rassemblement improvisé par un groupe d'artistes sur l'esplanade Abdelkader-Alloula du Théâtre national algérien.
Lancée par la comédienne Adila Bendimerad, l'idée a fédéré une trentaine d'acteurs, chanteurs, réalisateurs et plasticiens qui ont occupé les marches du TNA pour débattre de la situation actuelle entre eux mais aussi avec les passants, les habitués de la placette et les habitants du quartier.
Incarner et pérenniser cette reconquête de l'espace public par les citoyens pour lui rendre sa vocation d'outil contestataire mais aussi d'agora riche en débats et en perspectives était donc le premier objectif qui a regroupé des dizaines de personnes lundi dernier devant le TNA. La parole était libre et la discussion se ramifiait sur plusieurs aspects d'une lutte qui ne fait que commencer. Les artistes se sont, par ailleurs, engagés à apporter chacun dans sa discipline son savoir-faire aux prochaines manifestations : sérigraphie, beaux-arts, danse, théâtre de rue, poésie, musique, etc. afin d'accentuer le caractère pacifique et festif des marches du vendredi. Il était également question de libérer la culture des mains de l'Etat et de la propagande et de faire de ce mouvement une occasion de rendre l'art et la culture à sa base populaire.
Un jeune chômeur a ensuite soulevé le débat autour des violences policières, des manifestants blessés tout en insistant sur la nécessité de l'union et le rejet du corporatisme : «Je ne suis pas d'accord avec le fait que les étudiants ou les artistes entreprennent des actions isolées. Le mieux, c'est de sortir tous ensemble afin d'éviter les divisions. Un autre n'a pas pu retenir ses larmes en expurgeant une souffrance quotidienne quant à la privation des libertés, la hogra et le mépris systématiques des jeunes.
Le lendemain, c'est la chanteuse Raja Meziane, pasionaria connue pour ses textes engagés et exilée depuis 2015 en République tchèque, qui diffuse son nouveau clip «Allo système». Ecrite et interprétée en free-style, la chanson énumère en un souffle les outrages et les abus que le système politique en Algérie collectionne depuis vingt ans. Dans une mise en scène dynamique au montage hautement rythmé, Raja Meziane voit dans la déferlante populaire du mouvement du 22 février comme l'acte qui va signer la fin de ce régime. Pendant que les images des dernières manifestations défilent, la chanteuse célèbre la future «République populaire et démocratique et non monarchique» qui verra le départ d'une caste corrompue et vomie par les citoyens.
Beaucoup plus sobre, un clip tourné par un collectif d'artistes brandissant des pancartes et des roses, se libérant des chaînes ou arrachant leurs muselières, traverse les différents styles de la chanson algérienne moderne pour célébrer une deuxième indépendance de l'Algérie. «Aujourd'hui, le peuple libérera l'Algérie !», tel est le refrain de cette chanson qui réunit, entre autres, Amel Zen, Sadek Democratoz, Djamil, Chibane, les comédiens Mina Lachter, Salima Abada, Lila Torchi, Mustapha Laribi, Kamel Abdat, etc. Réalisé par Amine Kabbes, le clip met en exergue les aspirations profondes du mouvement : au-delà du refus d'un cinquième mandat et de la volonté de changement du système, il en ressort une véritable fresque revendicative pour une société émancipée par le respect des libertés individuelles et le vivre-ensemble.
S. H.