C'est un
phénomène intéressant qui mérite que l'on s'y attarde même s'il dérange ou que
l'on juge son impact médiatique démesuré au regard d'autres problèmes que
connaît le monde musulman. Au Maroc, un groupe de jeunes blogueurs appartenant
au Mouvement alternatif pour les libertés individuelles, plus connu sous le nom
Mali, réclame ouvertement le droit à ne pas jeûner pendant le Ramadan. Il y a
un an, ces activistes s'étaient déjà fait connaître pendant la même période en
annonçant la tenue d'un pique-nique en plein jour. A l'époque, l'affaire avait
fait grand bruit dans le Royaume chérifien et les témoignages rapportent que
les policiers en uniforme ou en civil, qui avaient encerclé et investi le lieu
du rassemblement, étaient bien plus nombreux que les participants au pique-nique
ou les badauds qui s'étaient déplacés par simple curiosité.
Cette fois-ci,
c'est via internet et le réseau social facebook que les membres du Mali ont
lancé leur mouvement. Pour Najib Chaouki, l'un des blogueurs les plus actifs du
mouvement, il ne s'agit pas d'appeler au non-jeûne mais « de défendre les
droits de ceux qui ne veulent pas observer le jeûne pendant le Ramadan ». Et de
préciser que ces droits relèvent de la liberté de conscience et de religion. En
clair, chaque Marocain devrait avoir la possibilité de ne pas jeûner sans avoir
à se cacher pour manger. Bien entendu, les autorités marocaines ne l'entendent
pas de cette oreille. Comme en Algérie ou dans la plupart des pays musulmans,
ne pas respecter le jeûne en public, peut valoir une amende et un
emprisonnement de plusieurs mois. Parfois, la punition se limite, surtout s'il
s'agit de mineurs, à une bonne correction dans un commissariat voire même en
pleine rue.
Cette initiative
marocaine fait écho à celle du collectif algérien SOS LIBERTES, qui a récemment
appelé au respect des libertés de conscience en déplorant le fait que les
non-pratiquant « risquent, une nouvelle fois, d'être la cible des forces de
sécurité, transformées pour la circonstance en bras armés de l'inquisition. »
Comme au Maroc, mais aussi en Tunisie, l'Algérie a connu ces dernières années
de nombreuses arrestations de non-jeûneurs, parfois lourdement condamnés pour
avoir mangé en public ou tout simplement avoir été surpris à le faire dans des
endroits qu'ils croyaient suffisamment discrets. On se souvient de ces jeunes
de Biskra accusés de « porter atteinte à l'ordre public » pour avoir été
surpris par des policiers en possession de bouteilles d'eau minérale. On se
souvient aussi de ces deux cousins, arrêtés et incarcérés quelques heures pour
avoir « cassé » le jeûne à Ben Aknoun.
Pour se justifier
– lorsqu'elles acceptent de le faire – les autorités rappellent que force doit
rester à la loi et que des textes existent pour punir ceux qui dénigrent le
dogme ou les préceptes de l'Islam. Parfois, l'explication emprunte des voies
moins martiales puisqu'il est alors question de respect pour les jeûneurs et de
la nécessité qu'ils ne soient pas indisposés par celles et ceux qui mangeraient
en public. Enfin, les diverses initiatives qui s'appuient sur la liberté de
conscience et de religion pour défendre les non-jeûneurs sont qualifiées de
démarches isolées et totalement décalées par rapport au reste de la société
quand elles ne sont pas tout simplement assimilées à la fameuse « main de
l'étranger ».
Le fait est
qu'aucun de ces trois arguments ne tient la route. La religion est une affaire
individuelle et chacun est libre de respecter ou pas les commandements divins.
On ne peut obliger les gens à être de « bons musulmans » et, d'ailleurs, quel
prix pourrait-on accorder à des jeûnes imposés par la coercition ? Ne pas
jeûner, ce n'est pas insulter l'islam ou les musulmans. C'est faire un choix
qui ne regarde personne d'autre que l'individu lui-même. D'ailleurs, la logique
policière qui veut que l'on fasse la chasse aux non-jeûneurs est quelque peu
spécieuse. Pourquoi alors ne pas embastiller celles et ceux qui ne prient pas,
la prière étant aussi l'un des cinq piliers de l'islam ?
Les sociétés
maghrébines ont parfaitement accepté et intégré le fait que nombre d'hommes et
de femmes ne prient ni chez eux ni à la mosquée. A l'inverse, la pratique
ostensible du jeûne semble avoir un poids bien plus déterminant qui n'en est
que plus suspect. Trop souvent, il ne s'agit en fait que de religiosité formelle
qui masque des déficiences en matière de valeurs profondes, que ces dernières
soient spirituelles ou non. Dès lors, cela incite à l'outrance et cela offre
aux autorités la possibilité de s'ériger comme protectrices à bon compte du
dogme et d'un ordre juste. Il est plus facile de traquer et de débusquer le
non-jeûneur que de poursuivre et d'arrêter les spéculateurs qui organisent la
pénurie et la hausse des prix à chaque veille de Ramadan…
Dans une société
musulmane apaisée et évoluée, le Ramadan, tout en continuant à être une période
particulière, ne serait-ce que sous l'angle des manifestations religieuses et
culturelles, ne devrait pas signifier la mise entre parenthèse de la vie
ordinaire. Cafés, salons de thé et restaurants devraient rester ouverts et,
surtout, les non-jeûneurs devraient être libre de manger et boire au grand
jour, sans avoir à se terrer (à charge pour eux, est-il utile de le préciser,
de ne pas agiter de sandwichs tentateurs sous le nez des « Observants »…).
Celles et ceux qui jeûnent en terre non-musulmane peuvent en témoigner : être
entouré de non-jeûneurs ne pose guère de problème.
Pour finir, la question du droit à ne pas
jeûner et les polémiques qui l'entourent, prouve une urgence. Il est en effet
plus que temps que la société algérienne se débarrasse des oripeaux d'une
religiosité obsessionnelle et qu'elle réalise que la liberté de conscience
n'est en rien une menace pour l'islam. Bien au contraire, cela montrerait que
cette religion est sûre d'elle-même, qu'elle n'est pas sur la défensive et,
plus que tout, qu'elle peut parfaitement s'accommoder de l'existence de
non-pratiquants, ou de non-croyants, au grand jour.
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Posté Le : 26/08/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Akram Belkaid: Paris
Source : www.lequotidien-oran.com