Algérie - Revue de Presse

La liberté du commerce et de l'industrie : L'enjeu du droit de la concurrence


La presse de ces dernières semaines a informé les citoyens de la volonté du gouvernement de modifier pour la troisième fois depuis janvier 1995 la législation relative à la concurrence et d'encadrer plus sévèrement les prix. Les commentaires à ce sujet soulèvent beaucoup de questions intéressantes de la part du profane mais ils n'apportent aucun éclairage sur la philosophie du droit de la concurrence de notre « gouvernement » et sur ses intentions politiques en matière de liberté du commerce et de l'industrie. Au contraire, le citoyen, confus mais candide, se demande à quoi sert le droit de la concurrence, n'est-ce pas encore un moyen de créer des institutions vides de contenu et qui ne servent seulement qu'à permettre à « certains » fonctionnaires de bénéficier d'un statut doré et budgétivore ' Le citoyen a sans doute raison de s'inquiéter.En effet, il y a lieu de rappeler que le droit de la concurrence a été institué en 1995 sur « injonction » du FMI et de la Banque mondiale, dans le sillage de la politique des « réformes ». La « technocratie bureaucratique », qui déclarait avoir l'intention de faire basculer l'économie algérienne d'une économie « administrée » à une économie « de marché », était techniquement contrainte de désengager l'Etat de la sphère économique et de mettre en place des institutions indépendantes pour arbitrer la compétition entre les agents économiques. C'est dans ce cadre que les institutions de la concurrence ont été mises en place et que le principe de la liberté du commerce et de l'industrie a été proclamé par l'article 37 de la Constitution de 1996.La « technocratie bureaucratique » a agi seule pour éviter la « faillite financière » pressentie. Comme il est d'usage, les citoyens n'ont jamais été invités à débattre des valeurs qui fondent le changement de leur système économique. Cela explique pourquoi les institutions de la concurrence n'ont jamais eu un impact sur l'économie réelle et pourquoi le conseil de la concurrence attend depuis de nombreuses années le remplacement de ses membres dans une quasi indifférence générale. Pourquoi donc la « technocratie bureaucratique » veut-elle encore modifier pour la troisième fois la législation de la concurrence ' Une raison majeure s'impose. Contraintes et forcées en 1995 d'octroyer aux agents économiques la liberté des prix dans le cadre de l'ordonnance n°95-06 du 25 janvier 1995 relative à la concurrence, il est à parier qu'aujourd'hui, dès lors qu'elle n'est plus soumise au contrôle de ses bailleurs de fonds, elle souhaite revenir sur ses engagements.Les temps ayant changé, elle n'abrogera peut-être pas franchement cette liberté mais par une contorsion de l'esprit dont elle est seule à détenir le secret ; elle expliquera par des moyens habiles que le contrôle des prix permet de réguler le marché sans dire qu'elle n'a jamais mis en place les instruments de la régulation économique qu'elle était censée mettre en place ; qu'elle souhaite protéger le pouvoir d'achat du citoyen sans dire qu'elle a échoué dans la relance économique qui devait justement lui procurer du travail et un pouvoir d'achat ; que des technocrates zélés et désintéressés vont mettre de l'ordre sur le marché au bénéfice du citoyen pauvre alors que tout porte à croire que la corruption a encore de beaux jours devant elle'Souvenons-nous que les mêmes technocrates zélés nous expliquaient doctement en 1995 que la liberté des prix allait permettre une concurrence saine et loyale au bénéfice du consommateur et que la corruption qui existait dans le domaine du contrôle des prix disparaîtrait d'elle-même... Cela est digne de « animals farme » : la « technocratie bureaucratique » qui, en 1995, vantait les bienfaits de la doctrine d'Adams Smith, se découvre subitement des convergences de vue avec Trotski. Face à tant de mauvaise foi, il serait alors peut-être temps de se faire une idée claire des intentions politiques de notre « gouvernement » en matière de libertés du commerce et de l'industrie. Il est à rappeler, schématiquement, pour éclairer cette réflexion : Que dans le cadre d'une économie « administrée », l'Etat est un agent économique qui attend du citoyen l'aliénation de ses libertés fondamentales, en échange de quoi, l'Etat pourvoit à tous ses besoins ; cela suppose que le rôle de l'Etat ne se limite pas à la régulation économique et que l'individu soit nié au profit de la collectivité ; que dans le cadre d'une économie « de marché », l'Etat au contraire se limite aux activités de régulation sans s'immiscer directement dans la sphère économique et que le citoyen individu exerce pleinement ses libertés fondamentales ; que dans le premier cas, le pouvoir est détenu par « la technocratie bureaucratique » et que ses membres utilisent la force de l'Etat pour bénéficier des avantages matérielles qui ne sont pas accordés aux citoyens ordinaires et ce, notamment par le moyen de la corruption, alors que dans le deuxième cas, l'Etat reste sous le contrôle du citoyen et à son service. Les conditions historiques dans lesquelles le droit de la concurrence a été introduit en Algérie n'ont pas permis aux citoyens d'appréhender le droit de la concurrence, dans le cadre d'un débat démocratique autour de la question relative à l'exercice de la liberté du commerce et de l'industrie - de la question du rôle de l'Etat dans la société - et enfin de la question de savoir qui doit détenir le pouvoir économique dans la société, mais les modifications techniques intempestives des textes juridiques relatives à la concurrence et le discours populiste sur les dispositifs de contrôle des prix ne doivent pas masquer l'enjeu majeur du droit de la concurrence pour le citoyen. Son choix est simple : Disposer d'une liberté de commerce et d'industrie dans une sphère économique où l'Etat se limiterait à la fonction de régulation et où cet Etat serait à son service et sous son contrôle ;  ou bien, vivre dans un Etat qui prend en charge ses besoins fondamentaux en échange de sa liberté et subir le pouvoir envahissant d'une « technocratie bureaucratique » corrompue. Il serait urgent que le citoyen réponde clairement à ces deux questions et s'engage à défendre son choix car la « technocratie bureaucratique » a déjà commencé à envahir de nouveau l'espace économique en renforçant le secteur public économique qu'ont disait moribond en utilisant le denier public. Ne nous faisons pas d'illusion, en renforçant le secteur public économique, la « technocratie bureaucratique » renforce en même temps son pouvoir et son espace de corruption et cette question n'a aucun lien avec une technique juridique quelconque elle est éminemment politique.R. S-L. : Avocat, ancien directeur de la concurrenceau ministère du Commerce
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)