Le projet de loi organique sur l’information sera débattu à l’APN, la Chambre basse du Parlement, à partir de fin novembre. La mouture du projet, amendé à plusieurs reprises, est publiée sur le site du ministère de la Communication. Dès l’article 2, on comprend la volonté des autorités de mettre des barrières devant la libre expression des médias. Treize conditions sont répertoriées dans cette disposition que le journaliste est tenu de respecter avant d’exercer ce métier. Il s’agit, entre autres, des «exigences de la sûreté de l’Etat et de la défense nationale», de «la sauvegarde de l’ordre public», des «valeurs culturelles et spirituelles de la Nation», des «impératifs de la politique étrangère du pays», des «intérêts économiques du pays», du «secret de l’instruction judiciaire»… On ne s’arrête pas là.
Plus loin, dans l’article 80, on trace à grands traits des lignes rouges pour l’accès à l’information. Il est écrit, noir sur blanc : «Le droit d’accès aux sources d’information est reconnu aux journalistes professionnels, excepté lorsque l’information concerne le secret de la défense nationale tel que défini par la législation en vigueur, l’information porte atteinte à la sûreté de l’Etat et/ou à la souveraineté nationale de façon manifeste, l’information porte sur le secret de l’enquête et de l’instruction judiciaire, l’information concerne le secret économique stratégique, l’information est de nature à porter atteinte à la politique étrangère et aux intérêts économiques du pays».
Lignes rouges
Trois questions. Quand et dans quelles conditions une donnée journalistique devient «un secret économique stratégique» ' Où se trouve la législation qui définit clairement et avec précision la nature du «secret-défense» ' Comment une information peut-elle porter «atteinte» à la politique extérieure du pays ' A travers cette disposition, parfaitement inacceptable à l’époque d’internet, des réseaux sociaux et de l’iPad, le gouvernement se donne le droit d’empêcher les citoyens d’être informés sur, par exemple, la conduite de l’économie du pays, la conclusion des gros contrats énergétiques ou militaires et sur l’orientation donnée à la politique étrangère. Une politique très critiquée ces derniers temps en raison des ratés par rapport aux révoltes arabes et à la chute des dictatures dans la région nord-africaine.
Pourtant, devant la commission communication, culture et tourisme, Nacer Mehal, ministre de la Communication, a déclaré que le projet de loi est porteur «d’une garantie du droit du citoyen à l’information». Ce même projet dresse une troisième muraille. Sous prétexte d’imposer aux professionnels «une éthique et une déontologie», les rédacteurs du texte ont, dans l’article 89, aligné… dix-sept autres «règles» : «s’interdire de porter atteinte à la souveraineté et l’unité nationales», «s’interdire l’apologie du colonialisme», «s’interdire de porter atteinte aux attributs et aux symboles de l’Etat», «s’interdire toute atteinte à l’histoire nationale», «s’interdire de diffuser ou de publier des propos et des images amoraux ou choquants pour la sensibilité du citoyen»…
Au-delà du fait qu’on tente, encore une fois, d’officialiser l’écriture de l’histoire (et ce n’est qu’un exemple) à travers ces obstacles, le gouvernement s’est accordé le droit de fixer «la déontologie et l’éthique» à la place des professionnels ! Aucun gouvernement au monde n’a encore osé le faire.
Des chartes universelles, comme celle de Munich, en matière de déontologie journalistique, parfaitement applicables en Algérie, ont été ignorées par les autorités. On fait mieux en «triturant» les principes consensuels d’éthique, en ajoutant des règles qui n’existent nulle part ailleurs, comme «l’atteinte aux symboles de l’Etat» ou à «l’histoire».
Critiquer l’action politique du président Bouteflika peut facilement être assimilé à une atteinte aux «symboles de l’Etat». Idem pour l’évocation de dépassements de l’armée ou de la police. Publier une enquête sur «les faux moudjahidine» peut être considéré comme «une atteinte» à l’histoire.
Immixtion dans les affaires de la corporation
C’est simple : l’article 89 du projet de loi sur l’information doit être définitivement supprimé en ce sens que la déontologie et l’éthique des médias sont l’affaire des journalistes, et d’eux seuls, pas celle du gouvernement et de ses appareils. Instituer un Conseil supérieur de l’éthique et de la déontologie du journalisme, dont les membres sont élus par les journalistes professionnels, comme cela est précisé dans l’article 91, ne changerait rien à cette situation.
L’article 90 est porteur d’un interdit sournois. Il y est mentionné : «La violation directe ou indirecte de la vie privée des personnalités publiques est également interdite.» Quel sens donner à «la violation indirecte» de la vie privée ' Et quand une personnalité devient-elle publique '
Enquêter sur le «faux» passé révolutionnaire d’un ancien responsable relève-t-il de «la violation de la vie privée» ' Au chapitre du pur arbitraire, l’article 103 prévoit une procédure judiciaire en référé en cas de refus d’insertion d’une mise au point alors que la disposition 105 évoque la possibilité donnée au tribunal d’ordonner, «sous astreinte», la diffusion d’un rectificatif ou d’une réponse. Les médias n’ont aucune possibilité de recours. Pire, l’article 110 va plus loin : «Toute personne physique ou morale algérienne a le droit de réponse sur tout article écrit ou émission audiovisuelle portant atteinte aux valeurs nationales et à l’intérêt national.» Cela ressemble à une menace pour les médias indépendants qui «osent» s’intéresser à des sujets politiquement incorrects et qui peuvent être considérés, par le premier venu, comme contraires à… l’intérêt national.
Il est évident que si le projet de loi de Nacer Mehal passe avec ces dispositions, il ne sera d’aucun… «intérêt» pour les journalistes et pour tous les défenseurs de la liberté d’expression dans le pays.
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Posté Le : 14/11/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Fayçal Métaoui
Source : www.elwatan.com