La liberté à toute épreuve d'un artiste iconoclaste

Takfarinas sort un nouveau clip et, comme à l'accoutumée, le roi de la pop ne laisse personne indifférent tant son exubérance provoque tantôt l'hilarité, tantôt le malaise.La Kabylie est le titre du nouveau single de Takfarinas, 62 ans dont 40 ans de carrière musicale. Bien que n'ayant pas sorti d'album depuis 2011, la vedette de la pop kabyle est apparue régulièrement sur les réseaux sociaux, notamment avec deux singles diffusés en l'espace d'un an.
Même si la sobriété n'a jamais été la première qualité des performances de Takfarinas, ce dernier semble aujourd'hui totalement affranchi du peu de balises qui tenaient encore ! On se souvient bien sûr du sulfureux Zaâma zaâma (1999) dont la musique et les paroles ont fait danser autant que jaser et dont le clip figure sans doute parmi les plus « scandaleux » de toute la musique algérienne. Costumes clinquants, chorégraphies déchaînées, attitudes « jacksoniennes » et désinhibition totale ont toujours façonné la personnalité artistique de cet enfant de la balle qui n'en est pas moins l'un des maîtres incontestés du chaâbi. Joueur de mandole exceptionnel et chanteur aux talents multiples, Takfa ne se prive pas pour autant de n'en faire qu'à sa tête et de briser tous les conformismes, quitte à choquer ou décevoir des fans kabyles qui, faut-il le rappeler, ont tendance à exiger de leurs artistes préférés un certain «sérieux» ! En 2019, le chanteur affole les compteurs de Youtube avec son clip «Tchekchouka», une espèce de brouillamini musical et visuel qui essuie une salve de critiques amères et fait dire à certains que Takfa devrait prendre sa retraite. Texte (en français et en kabyle) totalement absurde, mise en scène kitch, musique migraineuse... que n'a-t-on pas reproché à l'auteur de Lwaldin et de A3essas n zahriw ! Le 20 décembre dernier, Takfa récidive avec La Kabylie qui ferait passer le précédent clip pour un modèle de retenue !
Et pour cause, le chanteur a décidé de franchir un nouveau cap dans sa fabuleuse capacité à «triper» comme bon lui semble en faisant abstraction du grincement de dents national qu'il ne manquera pas de provoquer ! C'est un Takfarinas plus exubérant que jamais, flanqué de la panoplie pop la plus caricaturale et décidé à nous embarquer dans un délire musical et visuel dont on sortira avec les oreilles bourdonneuses et les yeux déroutés ! Curieusement, on peut aussi garder de ce clip une sensation de fraîcheur, voire un sentiment d'admiration pour cette éternelle jeunesse qui habite le chanteur et cette capacité imperturbable de désacraliser l'art devant des fans médusés !
Vêtu d'un costume surréaliste et plongé dans une débauche de couleurs et de lumières, Takfarinas dégaine une chanson extragalactique dédiée à la Kabylie, qu'il hurle plutôt qu'il n'interprète, avec une voix rock et une gestuelle débridée. Bien sûr, il soulève, là encore, une vague d'indignation sur les réseaux sociaux, souvent motivée par ce sempiternel problème d'image et de représentation que Takfa se fait régulièrement une joie d'envoyer paître !
Et malgré cette apparence de légèreté, voire d'adolescence, que renvoie l'artiste, on aura tort d'ignorer ses multiples talents, à commencer par celui d'incarner une certaine idée de la liberté : la liberté de faire de l'art d'abord pour son propre plaisir et de s'affranchir de ce rapport souvent hypocrite entre l'artiste et son public ; un public, plutôt morose, que Takfa semble vouloir décoincer, l'air de dire : «Détendez-vous ! Et venez danser !»
S. H.