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La langue évolue très peu à l'écrit



La langue évolue très peu à l'écrit
En marge de la tenue du 18e Festival européen en Algérie, l'écrivain public français, Pierre-Yves Roubert, a animé, hier matin, une conférence-débat, à la salle Frantz Fanon, à Riadh El Feth, portant sur «Le pouvoir des mots : dépossession et réappropriation».Ecrivain public depuis 1995 et «micro-éditeur» depuis 1997, il est l'auteur de plusieurs ouvrages et polars. D'emblée, le conférencier affirme que toute une partie de la population en France, en Algérie et dans bien d'autres pays dans le monde, ont perdu le pouvoir des mots. Il semble important de redonner ce pouvoir, afin qu'il puisse être utilisé par tout le monde. «L'écriture, dit-il, est un outil formidable. Quand on n'a plus ce pouvoir, il nous manque quelque chose pour vivre pleinement sa vie de manière complète et autonome».Pierre-Yves Roubert énumère quelques constats. Il indique qu'il y a une réduction du nombre de mots utilisés. Le dictionnaire de la langue française, à savoir Le Petit Robert, compte approximativement 60 000 mots. Sur ces 60 000 mots, on estime qu'un adulte en connaît à peu près 6000. Sur ces 6000 mots, il y en a à peu près 3000 qui sont utilisés.Chez les lycéens et les étudiants, on a une très faible utilisation de ces mots. En France, l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme estime que 7% de la population, soit deux millions et demi de personnes sont en situation d'illettrisme. Il cite le linguiste Alain Bentolila, qui avait constaté en 2005 que 15% des jeunes de moins de 18 ans n'utilisaient que le langage des cités. «Il n'y a, aujourd'hui, que 25% des jeunes qui utiliseraient un langage limité et codifié à la fois», argue-t-il.Pierre-Yves Roubert dresse un deuxième constat, celui de l'accroissement des inégalités face au langage. Toujours selon lui, en France, une étude a montré qu'arrivés à l'école, 20% des élèves ne maîtrisaient pas les bases de la langue française. «L'école française est devenue extrêmement inégalitaire. On laisse de côté certaines personnes qui n'ont plus le langage ou les bases du langage nécessaire».Un autre phénomène est à relever, celui de l'invasion de la langue de bois. «C'est une espèce de langage, explique-t-il, du vide qui consiste à utiliser des mots dans des tournures souvent alambiquées. On parle beaucoup, soit parce qu'on n'à rien à dire, soit parce qu'on ne sait plus parler aux autres. On perd du vocabulaire signifiant et on le remplace avec du vocabulaire complètement sans saveur».Autre élément de constat, la prééminence des chiffres sur les lettres. De l'avis du conférencier, nous sommes dans une société, où les chiffres nous envahissent.Très souvent, le chiffre remplace la parole et se suffit à lui-même. En témoignent les sondages et les messages sur les réseaux sociaux. On mesure aujourd'hui en chiffres un mot ou un contenu. Pour ce spécialiste, des raisons majeures conduisent à cette dépossession des mots, entre autres la déferlante des outils technologiques. Il y a eu une évolution qui a été mal maîtrisée. La force de ces outils est que beaucoup de jeunes sont devenus totalement dépendants et sont aujourd'hui complètement limités et phagocytés par ces nouvelles technologies.Ce sont eux maintenant qui parlent à notre place. L'homme est dominé par la machine, l'ordinateur ; il y a beaucoup de jeunes qui ne savent plus rester plus de trois minutes sans leur téléphone. La dépendance aux objets technologiques est devenue considérable. La profusion de ces outils a entraîné dans certains cas une profusion de mots». A titre d'exemple, les chaînes d'information continue répètent entre 100 et 200 fois la même information dans la même journée.Pour Pierre-Yves Roubert, il y a une démission des parents. A cause des invasions et des addictions aux objets technologiques, les parents ont renoncé à la conversation familiale. Aux Etats-Unis, une étude de 2016 a montré que la conversation intra familiale a diminué de 60%. En Allemagne, il y a eu, l'année dernière, une campagne publicitaire incitant les parents à parler à leurs enfants.Mieux encore, de nombreux pédiatres voient arriver, aujourd'hui, des enfants qui ont des troubles tout simplement parce que leurs parents ne leur parlent plus ou leur parlent banalement en consultant leurs SMS. «Une personne qui n'a pas de langage, de mots, d'interaction, de dialogue ne peut pas se construire. Cette démission parentale est un problème majeur pour cette dépossession vis-à-vis des mots», ajoute-t-il.Le conférencier précise que l'apprentissage de la langue française dans le primaire en France est de l'ordre de 37%. Un taux jugé, selon l'intervenant, le plus élevé dans les pays européens. «On passe du temps à apprendre la langue française à l'école. Le problème n'est pas en termes de temps, mais il est plutôt lié à l'éducation, aux objets technologiques et à l'environnement», assène-t-il. Pierre-Yves Roubert est convaincu que les mots nous civilisent, nous singularisent, nous renforcent et nous soignent. Les attitudes de la société face à cette dépossession des mots sont nombreuses. Citons parmi ces dernières l'attitude du fataliste, le nihilisme, le faux réformisme et le conservatisme.Cet écrivain public a essayé de lister une dizaine de pistes, entre autres, replacer le langage à la base de la société, mobiliser et outiller les parents. L'enseignement est, certes, fondamental, mais selon Pierre-Yves Routard, la simplification de la grammaire et de la syntaxe est indispensable. Il y a, évidemment, d'autres pistes plus individuelles que chacun peut entreprendre, telles que chercher le mot juste, supprimer les mots superflus pour mieux valoriser le langage, utiliser les mots magiques et éviter les mots ambigus.


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