La langue algérienne mérite d'être revalorisée

- Les sciences sociales ont-elles toujours un avenir viable dans le Monde arabe ' C’est une question qui se pose tous les jours par rapport au Printemps arabe, né en janvier 2011. Des changements ont eu lieu. Regardez la question de la femme qui est de plus en plus présente. Il y a beaucoup de travaux à mener dans les sociétés arabes, et lorsque je dis «sociétés arabes» au pluriel, il s’agit de mettre l’accent sur le pluralisme et la question identitaire. Chaque pays arabe a sa propre société, sa propre histoire, quasiment son propre système.
- On parle de l’émergence d’une langue, la langue algérienne. Peut-on ou doit-on la considérer comme une langue au sens propre du terme ' C’est une question que se posent justement la plupart des linguistes. La langue algérienne, el daridja, est-elle une langue à proprement parler ' Pour moi, la réponse est affirmative, puisque la majorité des Algériens ne parlent pas l’arabe académique qui est pourtant la langue officielle de notre pays. Cette langue algérienne doit être considérée d’un autre point de vue. Elle mérite d’être revalorisée, d’où la nécessité d’une grammaire au sens propre du terme. Cette question linguistique sera traitée lors du congrès, la semaine prochaine.
- La langue algérienne a connu des influences étrangères, cela est incontestable. Dans ce cas précis, s’agit-il d’un atout ou d’un danger ' Je pense qu’ il s’agit plutôt d’un atout dans un contexte de pluralisme des langues méditerranéennes. Déjà au Maroc, une certaine presse utilise la daridja, mais également la télévision, je pense notamment à la chaîne maghrébine Nessma, qui ne s’exprime qu’à travers cette langue. Je trouve ce concept très intéressant et il est vraiment dommage que la langue algérienne ne soit pour ainsi dire pas mise en valeur.
- Le Printemps arabe a entraîné toute la série de changements que l’on sait, sur un plan essentiellement politique. Croyez-vous à un changement d’ordre sociétal ' Ce changement d’ordre sociétal est évoqué de plus en plus. Regardez en Egypte, par exemple, où circulent des idées de changement concernant la mobilisation de la population, essentiellement celle des jeunes. Nous assistons là à un volontarisme spontané, ce qui constitue ici une autre conception de la citoyenneté. Autre phénomène très intéressant : l’émergence des femmes arabes qui sont de plus en plus nombreuses à manifester, non seulement en Egypte ou en Tunisie, mais également dans des pays réputés plus «conservateurs», comme le Yémen, où elles sont dans la rue, certes en niqab et séparées des hommes, mais elles sont présentes. Je mettrai cependant l’Algérie à part, puisque la femme algérienne est présente régulièrement dans des manifestations depuis 1988. Ainsi, notre pays a été un précurseur dans ce sens. Globalement, avant les révolutions arabes, il y avait un certain ordre sociétal. Depuis 2011, un nouvel ordre est en train d’émerger.