Un artiste au nationalisme à fleur de peau
Une journée de deuil et d'évocation dont les trois chaînes de radio: Radio nationale Chaîne II, Radio Soummam et Radio Tizi Ouzou se sont fait le devoir de répercuter l'impact
Hier, la voix de Chérif Kheddam résonnait continuellement un peu partout en Kabylie, et elle côtoyait merveilleusement celle de Matoub Lounès, dont c'était l'anniversaire de la naissance. C'est donc à une journée particulière à laquelle ont eu droit les citoyens de cette région de l'Algérie profonde. Deux artistes dont l'un a sacrifié sa vie pour l'art et la chanson et l'autre l'a donnée pour que l'Algérie de demain soit prospère. Une journée de deuil et d'évocation dont les trois chaînes de radio: Radio nationale Chaîne II, Radio Soumam et Radio Tizi Ouzou se sont fait le devoir de répercuter l'impact. Ces dernières se sont évertuées à faire de cette journée une sorte de portes ouvertes sur Chérif Kheddam dont les chansons n'ont pas cessé d'être diffusées tout au long de la journée. Les chefs-d'oeuvre musicaux de Chérif Kheddam étaient diffusées sans interruption et elles s'alternaient de temps à autre avec celles, non moins immortelles de Matoub Lounès. Il y avait de l'émotion. Il y avait de la tristesse mais il y avait surtout une certaine dose de joie due au fait que des artistes puissent unir à ce point des citoyens d'un même pays que tant de faux problèmes avaient divisés auparavant. Finalement, qui mieux qu'un artiste pourrait créer une telle communion et une telle symbiose désintéressée devant un événement inévitable de la vie. Hier donc, dans la ville de Tizi Ouzou, on écoutait la voix de Chérif Kheddam qui fusait des magasins, des disquaires, des véhicules et d'un peu partout. A la Maison de la culture, les chansons de Chérif Kheddam étaient diffusées à gros décibels tout au long de la journée. Même à l'Assemblée populaire de wilaya où, la veille, les débats étaient menés à couteaux tirés, hier, Chérif Kheddam, même absent a su ramener un brin de tendresse et la hache de guerre a été enterrée le temps d'une minute de silence et d'une évocation. Les élus à l'APW, qui étaient en session extraordinaire, ont même eu droit à un extrait de la chanson de Chérif Kheddam Lezzayer inch Allah atsehlu.
Dans les rédactions des chaînes de radio d'expression kabyle, on n'avait d'yeux que pour Chérif Kheddam. Chérif Mameri, figure fétiche du journalisme en langue amazighe, était ému hier après la mort du maitre de la chanson kabyle. Il nous a dit ne pas pouvoir oublier le numéro spécial de l'émission télévisée, Tamurt negh, qu'il a animée en hommage à Chérif Kheddam. C'était en 2006. Son équipe de télévision s'est déplacée au village natal de Chérif Kheddam, se souvient Chérif Mameri. Ce dernier a aussi été reçu par l'artiste en son domicile à Bouzaréah sur les hauteurs d'Alger où, avec modestie et passion et sans façon, il s'est confié au journaliste qui était déjà l'un de ses fans inconditionnels. «J'ai été marqué par sa simplicité alors qu'il était un géant de la musique. Il avait un sens de la communication. C'était vraiment un artiste. Un vrai. Lors de cette émission, Chérif Kheddam n'a pas du tout été avare puisqu'il nous avait remis des enregistrements inédits dont un en pleine répétition avec l'orchestre philarmonique. En parlant, Chérif Kheddam n'avait aucunement recours à la langue de bois». Le journaliste Chérif Mameri nous a confié que ce qui l'a frappé chez Chérif Kheddam, c'était surtout son air jovial. Chérif Kheddam avait toujours le sourire esquissé et disait tout avec joie et sens de l'humour. La journaliste Zohra Ferhati, qui a réalisé une émission radio de quatre-vingt dix minutes en 1994 sur Chérif Kheddam abonde dans le même sens. L'émission, réalisée par Meziane Rachid, faisait alterner des reportages audio sur le poète d'Ath Bou Messaoud et le regretté commentait à chaque fois ce qui était rapporté au sujet de son parcours, de sa vie et de son oeuvre. Zohra Ferhati dit ne pas pouvoir oublier la disponibilité de ce grand artiste. Mais, ajoute-t-elle non sans émotion, elle a été frappée par l'attachement que vouait Chérif Kheddam à la terre en dépit du niveau qu'il avait atteint sur le plan musical. «Il était resté un Kabyle», souligne-t-elle. Zohra Ferhati rappelle que c'est Chérif Kheddam qui a introduit les nouvelles techniques modernes à la chanson kabyle en y introduisant notamment l'orchestration qui n'existait pas auparavant. «J'ai retenu le fait que Chérif Kheddam parlait avec une grande douceur. Il était très sensible. C'était un monument», conclut Zohra Ferhati. Un dernier témoignage, inévitable pour évoquer la mémoire de Chérif Kheddam. C'est celui de l'un de ses élèves, le chanteur Rabah Ouferhat, auteur de la célèbre chanson Tala y lughen. C'était en 1972. Rabah Ouferhat était élève en première année secondaire au lycée de Bordj Menaïel. Muni de sa guitare, Rabah Ouferhat se présente au siège de la Radio Chaîne II à Alger. L'émission, c'était: Les chanteurs de demain qui était animée par le trio Chérif Kheddam, Mohamed Belhanafi et Medjahed Mohamed, le cousin du chanteur Hamid. Ce jour-là, l'adolescent et élève Rabah Ouferhat découvre le maitre Chérif Kheddam: «Une semaine après mon passage à son émission, Chérif Kheddam a mis à ma disposition l'orchestre de la Chaîne II et j'ai enregistré au niveau de l'auditorium de la radio. Grâce à lui bien sûr.» Qu'est-ce qui a été retenu par Rabah Ouferhat de la personnalité de Chérif Kheddam' Il répond: «Il était rigoureux dans le travail. Il était direct. Il était également à cheval sur tous les critères qui étaient en rapport avec la chanson.» Notre interlocuteur ajoute que Chérif Kheddam insistait toujours sur le fait qu'un artiste doit rester modeste quoi qu'il en soit et qu'il ne devrait pas se prendre pour ce qu'il n'est pas. Rabah Ouferhat décrit Chérif Kheddam comme étant un vrai modèle des anciens maîtres d'école. Notre témoin ajoute que Chérif Kheddam vivait de manière effacée et qu'il ne fréquentait pas le milieu des artistes. «Ceux parmi les artistes qui étaient très proches de Chérif Kheddam sont le poète Mohamed Belhanafi, Medjahed Hamid, Dalil Omar et Habib Mouloud», conclut Rabah Ouferhat qui parle toujours comme un élève devant son maître quand il s'agit d'évoquer Chérif Kheddam.
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Posté Le : 25/01/2012
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Aomar MOHELLEBI
Source : www.lexpressiondz.com