Algérie

La Kabylie en Partage. Dans l’intimité des femmes de Dominique Martre Le dur combat des femmes vers le chemin de la liberté


Publié le 01.08.2024 dans le Quotidien le soir d’Algérie
MERIEM GUEMACHE

Dans les années 1970, Dominique Martre, enseignante de français, a débarqué avec son mari, médecin, dans le village kabyle de Maillot, actuellement M’Chedallah. Le couple a le statut de coopérants. Une nouvelle vie commence alors pour la jeune femme de 22 ans.
Dominique Martre découvre une culture qui tranche complètement avec la sienne. Elle est très proche des femmes de Maillot qui lui ouvrent les portes de leurs maisons pour des moments de partage. Une parenthèse durant laquelle ces femmes cloîtrées s’épanchent sur leurs conditions de vie. C’est cette expérience que l’ancienne institutrice nous restitue à travers cet ouvrage intitulé La Kabylie en partage. Dans l’intimité des femmes paru aux éditions Koukou.
L’enseignante a eu la lumineuse idée. Celle de tenir un journal lorsqu’elle vivait à Maillot. Un précieux pense-bête au moment de se lancer dans l'écriture de cet ouvrage. Dominique Marte est restée en contact avec quelques-unes de ses anciennes élèves et a eu l’occasion de revenir au village où elle a vécu avec son époux.
«âgée de vingt-deux ans et débarquant de Bretagne, j’avais découvert une tout autre culture, qui m’avait dépaysée et séduite. J’avais eu la chance, en tant que Française, de pouvoir circuler tant dans l’univers public, celui des hommes, que dans les maisons des femmes-enfermées-où m’emmenaient mes rares élèves filles, que leurs pères et frères avaient bien voulu maintenir au collège, sous haute surveillance néanmoins.»
Dominique conduit une vieille voiture. Elle sillonne «Maillot-Centre», «Maillot Gare» et «Maillot Plaine» et nous dépeint le quotidien de ces femmes. Hassina, son ancienne collégienne, est confrontée à un dilemme, après l’obtention de son bac. Sa mère lui fait du chantage : «pas d’études universitaires sauf si tu te maries !» Pour ne pas se retrouver cloîtrée entre quatre murs, l’étudiante accepte d’épouser le premier prétendant qui passe le seuil de sa maison. Elle a ainsi pu achever ses études, se libérer du carcan traditionnel et s’installer avec son mari et ses enfants en Espagne. «C’est aussi sa révolte contre la condition des femmes, leur soumission aux hommes, qui a amené Hassina à entreprendre finalement ce projet d’émigration.»
Par le biais de Hassina, l’enseignante a pu rencontrer d’autres femmes du village et découvrir les us et coutumes de cette région. Elle évoque les «trois robes passées l’une sur l’autre serrées à la taille par une ceinture de laine», «le traditionnel foulard noir bordé de franges et de pompons rouge et orange» ... Invitée à assister aux mariages, elle découvre des pratiques insoupçonnables pour une Européenne de son acabit. «On ne donnera strictement rien à manger ni à boire à la future épouse : il est en effet inconcevable qu’elle ait envie de se soulager dans la maison de sa belle-famille et lors de sa nuit de noces.»
Les croyances et les rituels sont également rapportés par l’écrivaine comme ces petits miroirs qui sont accrochés sur le foulard de la mariée lors de la séance du henné censés éloigner le mauvais œil ou encore ces filtres d’amour concoctés pour envoûter les hommes.
L’enseignante a aussi côtoyé les infirmières et aides-soignantes qui travaillaient à l’hôpital de «Maillot-Centre». Des femmes stigmatisées et montrées du doigt comme si elles étaient des dévergondées. «De très jeunes femmes venues d’ailleurs qui faisaient l’objet tant de critiques que de convoitises (...) originaires de villages lointains, kabyles ou arabes, elles étaient considérées comme des ‘‘étrangères’’, issues par ailleurs de familles non respectables (...). Des hommes venaient quotidiennement jusqu’aux grilles de l’hôpital pour les voir, s’y faufiler puis, tout en leur murmurant un mot doux, aguichant ou piquant, tâcher d’effleurer leurs corps (...). Elles n’avaient de répit que dans leur chambrette où elles s’entassaient et qu’elles appelaient leur ‘‘prison’’, car le directeur en avait condamné et rendu opaque les fenêtres sous prétexte de les mettre à l’abri des regards importuns et leur interdisait d’en sortir, sauf pour venir travailler à l’hôpital.»
En lisant ce livre, vous découvrirez d’autres combats de femmes. Hassina, Miassa, Saliha, Fathma, Safia, Anissa et les autres sont des femmes attachantes.
L’enseignante se liera également d’amitié avec Messaoud, Tayeb et Bachir, tous originaires de Maillot. L’histoire de Bachir, devenu ingénieur dans d’importantes entreprises américaines est singulière. Son père a été condamné, en 1929, par la cour criminelle d’Alger à la déportation à Cayenne. Gracié, le bagnard regagne son village natal de Maillot en 1946. Bachir veut réhabiliter la mémoire de son père, accusé injustement de crime et de vol.
Des portraits de femmes et d’hommes dont la vie n’a pas été un long fleuve tranquille. Des histoires pleines de sensibilité et d’humanité à découvrir absolument. La préface de ce livre-témoignage est signée par Tassadit Yacine.
En annexe, vous pourrez aussi lire un entretien réalisé avec Leïla Sebbar et Claudine Vassas.
Après avoir suivi un cursus de lettres, puis d’ethnologie à l’Ecole des hautes études en sciences sociales à Paris, Dominique Marthe a travaillé comme enseignante, journaliste, comédienne, et consultante en formation et communication. En 2009, elle a publié un premier ouvrage Mon enfant en terre lointaine.
Meriem Guemache
La Kabylie en partage. Dans l’intimité des femmes. Dominique Martre.
éditions Koukou. 2024. 281 p. 1000 da.


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