Algérie

La justice, un instrument de répression à déboulonner



Mais sa réforme semble se heurter à un système clientéliste et corrompu qui a détruit jusqu’à la notion même de justice.
Près d’un mois après la chute de Zine El Abidine Ben Ali, la question est sur toutes les lèvres : où sont les fiches de renseignements ' Où sont les cassettes, ces montages pornographiques en vogue dans les années 1990 pour salir les opposants ' Que sont devenus les indicateurs, les juges pourris et les tortionnaires de la police politique ' Que ce soit au ministère de l’Intérieur ou à celui de la Justice, le mutisme est complet. Officiellement, aucun doute : la réforme de la justice est, après la sécurité, la «priorité» du gouvernement. ONU et Union européenne sont prêtes, contre de solides garanties, à débloquer des fonds, vite réclamés par le ministre Lazhar Karoui Chebbi, qui évalue à 2,6 millions d’euros la réhabilitation des tribunaux et prisons endommagés pendant la révolution. «On a attendu des décennies avant de voir les fiches de la Stasi. Je ne sais pas si on verra un jour celles de Ben Ali. Des tas de rumeurs circulent sur des documents emportés ou détruits», a confié à l’AFP l’avocat Raouf Ayadi. «Le pays entier ressemblait à un grand commissariat», renchérit l’ancien opposant et avocat Mokhtar Jalleli, aujourd’hui ministre de l’Agriculture. «Les juges étaient achetés ou intimidés, les opposants étaient sur écoute en permanence. Rien n’était respecté», dit-il, montrant la copie d’une lettre du directeur de l’administration pénitentiaire au procureur général datant de 2010 et qui relate dans les moindres détails une conversation entre un avocat et son client dans le parloir d’une prison.
Maître Ayadi se souvient d’avoir tenté, en 2008, d’alerter le ministère public sur le trafic de yachts monté entre la France et la Tunisie par deux neveux de Ben Ali, Imed et Moaz Trabelsi : «Le greffier a refusé d’enregistrer notre requête. Il a pris nos documents, mais sans donner de récépissé : c’est comme s’il ne s’était rien passé.» Le «clan» était intouchable mais le pire, pour Me Ayadi, était l’arbitraire du quotidien. «On ne recevait jamais de copie des jugements de première instance, ce qui fait que les gens pouvaient être jugés plusieurs fois pour le même crime ou délit. Et si on protestait, on nous demandait d’apporter la preuve du premier jugement, que bien sûr on n’avait pas.» «Et quand par miracle vous obteniez la copie d’un jugement, par exemple dans les cas d’expropriation, on vous refusait le concours de la force publique» pour le faire exécuter, explique l’avocat.
Révoqué en 2001 pour avoir osé demander par écrit au président Ben Ali l’indépendance de la justice, le juge Mokhtar Yahyaoui assure que «rien n’a changé».
«On a permis la fuite de personnalités du régime, on n’a pris aucune mesure conservatoire. J’ai été dans plusieurs villes où des postes de police ont été attaqués. On a fait sortir des listes d’indicateurs. Alors que les tribunaux tournent au ralenti, juges et avocats réclament un «assainissement radical».
Il faut commencer par renvoyer les avocats et juges corrompus et réformer le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui était présidé par le chef de l’Etat», affirme Abderazak Kilani, bâtonnier de l’Ordre des avocats de Tunis.
Début février, le ministre Lazhar Karoui Chebbi a plaidé pour que les magistrats soient désormais «élus».
N’accordant que «peu de confiance» au ministre, les avocats, en pointe de la contestation depuis décembre, proposent d’autres pistes, comme le remplacement des juges corrompus par des avocats «reconnus pour leur probité». Le conseil de l’Ordre a commencé à établir une liste qui compterait une  centaine de «pourris» parmi les 1800 magistrats du pays.
 


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