L'avocate Aouicha Bekhti évoque dans cet entretien les deux dernières condamnations infligées à Saïd Djabelkhir et Amira Bouraoui en vertu de l'article 144 bis 2 du code pénal. Pour elle, l'article en question est en contradiction avec la charte universelle des droits de l'homme. Elle y évoque également le mouvement populaire.Liberté : Amira Bouraoui et Saïd Djabelkhir ont été condamnés pour atteinte "aux préceptes de l'islam". Du point de vue du droit, sur quelles dispositions juridiques se basent ces condamnations '
Me Aouicha Bekhti : Amira Bouraoui et Saïd Djabelkhir ont été condamnés en première instance en application à l'article 144 bis 2 qui prévoit une peine de 3 à 5 ans et d'une amende de 50 000 à 100 000 DA pour toute personne ? l'article 144 bis 2 stipule que "quiconque offense le prophète, les envoyés de Dieu, le dogme ou les préceptes de l'islam" est passible de 3 à 5 ans de prison ou d'une amende allant de 50 000 à 100 000 DA.
Cette accusation concerne tout écrit, dessin, déclaration ou tout autre moyen à travers lequel ce qui est qualifié d'offense est exprimé. Si pour M. Djabelkhir, le parquet a requis l'application de la loi, pour le Dr Bouraoui le parquet avait requis le maximum, soit 5 ans de prison ferme et 100 000 DA d'amende.
À noter que ce n'est pas la première fois que des citoyens sont condamnés pour les mêmes motifs. Rappelez-vous le cas du journaliste d'El-Djoumhouria, Mohamed Chergui, qui a été condamné à 3 ans de prison ferme en 2015. Il y avait aussi le jeune Yacine Mebarki tout récemment.
D'aucuns ont dénoncé l'article du code pénal, 144 bis, qualifié d'"obstacle" à la libre pensée. Est-ce votre point de vue '
Tout à fait. L'article 144 bis 2 est en contradiction avec la charte universelle des droits de l'homme, notamment dans ses articles 12, 18 et 30, de même qu'il est en contradiction avec le pacte des droits civils et politiques, signé par l'Algérie en décembre 1968 et ratifié en septembre 1989 ? les conventions internationales signées et ratifiées sont supérieures aux lois internes ? et enfin c'est un article inconstitutionnel. Il contredit le principe de la liberté de conscience garantie par la Constitution.
Il est évident que la justice s'appuie sur cet article pour justifier, à chaque fois, "ces restrictions" à la libre pensée. Faut-il le changer '
Evidemment. Pour tout ce qui est dit plus haut et pour être en conformité avec les conventions internationales, la Constitution et surtout pour un Etat de droit et de citoyenneté, cet article, avec d'autres lois liberticides doivent être abrogés.
Vous avez déclaré en substance que la justice est inapte à traiter les affaires des deux prévenus, expliquant qu'elle est dépourvue de moyens pour étudier un sujet lié à la religion. Pouvez-vous être un peu plus explicite '
Je considère que la justice n'a pas à s'ingérer dans le débat d'idées. Au procès de Saïd Djabelkhir, c'était vraiment la pensée qu'on jugeait. Or, je pense qu'un magistrat n'a pas compétence pour cela. Nous avons assisté à un décalage surréaliste. Un intellectuel islamologue, spécialisé et formé en la matière et un magistrat qui cherchait un motif à condamner.
C'était un triste spectacle. Je l'ai vécu comme une régression terrible. Pour Amira Bouraoui, c'est une citoyenne qui s'est exprimée sur un espace privé avec des mots qui lui appartiennent. Elle ne les a imposés à personne, car il faut aller sur sa page Facebook pour les trouver. Pour elle, on a l'impression qu'en plus de ses opinions, c'est aussi ses mots qu'on juge et qu'on condamne.
Le pays vit au rythme d'un mouvement de protestation inédit depuis plus de deux ans. Néanmoins, la contestation n'arrive toujours pas à tracer un cap et à définir un objectif, au-delà de l'exigence du départ du système. Qu'en pensez-vous '
Ce mouvement citoyen qui a démarré en février 2019 est l'aboutissement d'un cumul de plusieurs décennies de luttes continues même si dispersées. Il a été porteur de tous les espoirs. En tout cas, en ce qui me concerne, il a rassemblé les Algériens, inédit par son pacifisme.
Nous avons pu récupérer l'espace public. Des débats se sont engagés sur tous les espaces et dans tous les domaines, une résistance à la répression s'est organisée. Nous pouvions espérer réaliser ce à quoi nous aspirons, à savoir l'édification ? ou sa reprise ? d'une République réellement démocratique et sociale.
Nous n'avons pas su nous organiser pour proposer notre alternative. Je pense qu'il est encore temps pour tous ceux qui veulent réellement un changement vers la démocratie et le progrès social de se rassembler. Demain reste toujours à faire.
Certaines voix refusent qu'on évoque certaines questions qui, à leurs yeux, sont susceptibles de diviser le mouvement populaire. On y cite la place de la religion, à titre d'exemple. Êtes-vous de cet avis '
Je pense que si nous devions nous rassembler ce serait sur la base d'un projet de société clair. Sur la nature de l'Etat, sur l'égalité des droits entre les Algériens unis sur la base de la citoyenneté pleine et entière de toutes et de tous. Sur la préservation des acquis sociaux et leur renforcement que l'Algérienne et l'Algérien soient des citoyens du 21e siècle. La différence de point de vue ne divise pas. Bien au contraire elle enrichit.
Ceux qui prétendent que poser le problème de l'égalité des droits entre les femmes et les hommes peut nous diviser ? parce que c'est de cela, entre autres, qu'il s'agit ? si parler d'un projet de société nous divise, mais il y a bien deux projets qui s'affrontent. C'est une réalité. Celui républicain, démocrate et social et celui qui dépose plainte contre la pensée et qui la condamne, comme on condamne un délit. Pour eux, tous les prétextes sont bons.
Entretien réalisé par : MOHAMED MOULOUDJ
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Posté Le : 09/05/2021
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Mohamed MOULOUDJ
Source : www.liberte-algerie.com