Algérie

La jungle, histoire naturelle d'une résidence universitaire algérienne



Dans beaucoup de nos villes, il y a des lieux hors du commun, des écosystèmes spéciaux qui, au milieu des quartiers où nous vivons, redonnent leur place aux lois de la nature.
Ce sont les résidences universitaires, sortes de réserves naturelles pour étudiants, comme on en fait pour les espèces animales menacées, à ceci près que dans les cités universitaires, l'étudiant est loin d'être protégé. Visitons l'une de ces cités, une que je connais bien pour y avoir résidé plusieurs années et que j'appellerai «La Jungle» pour que chaque résident universitaire algérien puisse se reconnaître et reconnaître sa cité dans ce que je vais vous décrire. On entre dans La Jungle par un grand portail, massif et soigné, les plantes grimpantes sur ses grilles latérales, sa ferronnerie peinte en vert foncé, et son enseigne qui dit avec des lettres dorées sur un fond noir le nom et la fonction de l'endroit, donnent au premier coup d'œil une impression de propreté et de chaleur, on ne répugne pas trop à y entrer. Ce n'est qu'en passant devant la loge du gardien qu'on commence à déchanter. Selon les jours, vous pouvez entrevoir à l'intérieur de la loge un gardien assoupi sur son lit, ou plusieurs debout ou assis sur des chaises devant la loge, encombrant le passage, déjà étroit, réservé aux piétons.
Un immense enclos
Vous entrez donc dans ce lieu et vous vous rendez compte que vous n'avez pas été contrôlé, que l'accès est libre, que personne ne vous a inquiété alors que vous n'êtes pas étudiant et n'en avez pas l'air. Vous vous dites aussi que ces gardiens surveillent et contrôlent très peu pour des gens censés veiller à la sécurité. Cela doit être dû au fait qu'ils préfèrent observer ce qui les intéresse, les belles plantes comme l'étudiante en économie ou en droit qui, bizarrement, ne prennent jamais racine aux abords de la loge et ne font que passer en vitesse. Heureusement, ce ne sont pas les seules plantes qui intéressent ces botanistes accomplis, ils sont aussi passionnés par les cannabinacées qu'on fume ou les salades qu'on raconte… Une fois la loge dépassée, vous pénétrez dans un espace qui paraît tout de suite immense, cet espace est clos d'une haute clôture faite de barreaux en fer peints d'une couleur qui pourrait être la même que celle du portail si elle était plus fraîche. C'est donc un immense enclos, exactement comme les vraies réserves naturelles, avec des bâtiments à la place des arbres et des humains à la place des animaux.
Ordures, gravats et rats
La cité, c'est d'abord treize bâtiments alignés sur trois rangées échelonnées sur le terrain pentu de la cité dans un grand souci de parallélisme. Vus de côté, on a trois taches grises en escalier. Treize bâtisses aux boiseries pourries, aux murs décrépis, aux fenêtres sans volets, souvent sans rideaux, des murs aux mille ouvertures béantes faisant de ces édifices des sifflets dont jouent les vents violents d'automne. C'est là que sont censés vivre les étudiants. Entre les rangées de bâtiments, il y a des sortes de terrains vagues, abandonnés aux ordures, aux tas de gravats dégagés lors des travaux perpétuels et quelques arbres et palmiers dont on ne saurait reconnaître l'espèce, leurs branches portent plus de détritus que de feuilles. Dans certains palmiers, des rats ont nidifié pour s'offrir des refuges à l'abri des prédateurs et un accès aisé aux chambres vu que lesdits palmiers ont les palmes qui touchent aux fenêtres des premiers étages. Puis, un bâtiment se détache des autres avec ses murs d'un blanc éclatant, transpercé sur toute sa hauteur de climatiseurs, son drapeau qui flotte sur la façade et son entrée, elle aussi en fer vert, et à laquelle on accède par un trottoir impeccable, dont les bordures font alterner le rouge et le blanc. Ce contraste avec le reste de la cité vous rappelle quelque chose de déjà-vu et vous fait penser que ce bâtiment fait corps avec le portail et la loge des gardiens, et que le tout fait partie d'un même ensemble distinct des treize autres bâtiments. Une dichotomie flagrante, deux mondes, un pour les étudiants et un autre pour ceux qui sont censés les servir.
(A suivre)


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