Algérie

La jungle de l'offshore



Dans ce marché informel, d'aucuns s'interrogent sur la provenance des fonds, la permissivité du siphonnage de la publicité alors que les télés sont de droit étranger."C'est une chaîne à vocation nationale. Elle se propose d'offrir un regard neuf sur le traitement de l'information politique, économique, sociale et culturelle avec une approche originale sur le sport, les phénomènes sociaux et les spectacles, le cinéma et les séries." L'homme qui parle ainsi n'est pas un homme d'affaires, encore moins un magnat, mais le directeur d'El Watan, Omar Belhouchet, dont la société éponyme projetait le lancement d'une télé.
C'était il y a quelques années, lorsque l'ouverture à l'audiovisuel connaissait ses premiers balbutiements, dans la foulée des révoltes arabes. Mais aujourd'hui, le projet est dans les cartons. Comme d'autres avant lui qui avaient échafaudé des projets de télévisions restés sans lendemain, ils se sont vite rendus à la triste évidence de la réalité : c'est une ouverture en trompe-l'?il.
Décidée après le "printemps arabe" qui avait emporté certains dictateurs, l'ouverture de l'audiovisuel aux capitaux privées, probablement pour contenir alors l'influence de la redoutable Al-Jazera, a donné lieu à une éclosion d'une soixantaine de chaînes qui évoluent aujourd'hui dans un véritable "marécage de non droit". À l'indigence programmatique s'ajoutent souvent, pour certaines chaînes, bien entendu, des dérives éthiques et déontologiques, comme on l'avait vu avec le traitement infligé par une certaine chaîne à l'écrivain Rachid Boudjedra.
Un traitement qui avait suscité un tollé parmi les intellectuels et les hommes de culture.
De l'avis de nombreux spécialistes, ces télévisions, qui, politiquement, sont appelées à "montrer patte blanche", faute de quoi elles risquent de connaître un sort similaire à celui d'Al-Atlas-TV ou de KBC, sont loin de répondre aux normes observées sous d'autres latitudes. "À proprement parler, il est hasardeux, dans l'écrasante majorité du nombre, au regard des normes caractérisant dans le monde développé les entreprises du domaine de les catégoriser sous l'appellation ?entreprise éditrice de télévision'", résume Belkacem Mostefaoui, enseignant à l'Ecole nationale supérieure de journalisme. Sur une soixantaine de chaînes, cinq seulement sont "autorisées" et disposent de bureaux, au mépris de la loi, dont trois sont adossées à des hommes d'affaires proches du sérail et dont le rôle, comme on l'a vu dans un passé assez récent, est de louer les puissants du moment et de combattre toute idée de remise en cause du système. Mais toutes sont... étrangères. "Elles sont de statut a-légal tant que la puissance publique n'a pas encore mis en place le dispositif réglementaire de l'exercice des activités du domaine. Il y a lieu de noter que les représentants de cette puissance (dont des discours lénifiants des ministres successifs de la Communication) convergent à orchestrer et ?bétonner' un marché informel de l'offre télévisuelle alimenté par des entreprises de droit privé étranger, alimentant l'idéologie populiste et autoritaire dominante", soutient Mostefaoui qui ne manque pas d'évoquer le sort réservé à KBC. "Certains se souviennent de l'aventure d'El Khabar TV : le modèle alternatif à éradiquer du paysage télévisuel et des foyers algériens. La justice s'en est occupée avec célérité... Exhibée depuis trois années comme amulette miracle du retrait des pouvoirs publics de ce marché informel, l'Autorité de régulation de l'audiovisuel, (Arav), est demeurée une coquille vide." "Ces chaînes ne sont ni algériennes ni légales. ?Les meilleures' d'entre elles, c'est-à-dire 5 sur les 55 existantes, ont été juste autorisées à ouvrir des bureaux de représentation. Or, tout le monde sait que ce ne sont pas de simples bureaux de représentation qui ont été ouverts mais de véritables rédactions parfois très fournies, importantes de par le nombre de leurs employés qui est entre 200 et 500 personnes (...)", avait admis en juillet dernier, le président de l'Arav, Zouaoui Benhamadi, dans un entretien accordé à un confrère. Dans ce "marché informel" d'aucuns s'interrogent aussi sur la provenance des fonds, la permissivité du "siphonnage" de la publicité alors que les télés sont de droit étranger, tout comme le transfert de l'argent et parfois sur les conditions de travail des employés. "Le système de marécage instauré dans le secteur télévisuel, bien plus que celui de la presse de droit privé, accentue toujours plus les problèmes générés. Toute une panoplie de contournements (virements à l'étranger) fonctionne ici à la lessiveuse d'argent sale. Quid du droit du travail des professionnels, de non-déclaration au fisc, etc. Mais aussi des valeurs symboliques. Interrogeons-nous civiquement sur cette marée (parfois nauséeuse) de spots de pub (marques étrangères et nationales, ou de partis et personnages politiques, de gourous promoteurs de sectes religieuses) dénaturant le patrimoine de valeurs ancestrales d'algérianité et de citoyenneté. Et le pire, c'est, qu'en fait, nous ne sommes qu'au ?premier âge' de cette déréglementation sauvage", regrette Mostefaoui.
Et l'Arav, "le gendarme" de l'audiovisuel, faute de moyens, apparaît, aujourd'hui, impuissant pour remettre de l'ordre dans une "galaxie" au mouvement occulte, mais qui risque de faire des dégâts dans la société à travers le véhicule d'idées rétrogrades et obscurantistes. Si ce n'est déjà fait. "Il faut savoir qu'il n'y a qu'une seule source de pouvoir qui peut remettre de l'ordre dans ce domaine, c'est l'Exécutif. En attendant, les choses continuent à s'alourdir. Il faut rappeler que l'Arav existe officiellement depuis un an. Mais, à ce jour, nous n'avons pas vu d'annonce par le gouvernement décidant de la configuration de l'espace audiovisuel national. Sur la base de quoi l'Arav peut-elle alors travailler '", s'interrogeait, à juste titre, M. Benhamadi.
Karim Kebir


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