La guerre d'Algérie en France (1955-1962) ou Les combattants du FLN en exil, est un livre qui ne laisse pas le lecteur insensible. Non seulement, parce qu'il raconte ce mémorable combat de nos compatriotes en France, dans le fief même des colonisateurs, mais aussi, parce qu'il fait état de nombreuses opérations, tant armées que politiques, à travers un vécu au quotidien, dans un style simple, vrai et prenant. Son auteur, Ali Boukerma, un moudjahid de la première heure, celui qui ne se fait pas prier pour s'accrocher au wagon de la révolution, alors très jeune à l'époque, nous promène dans ses quatre chapitres, dans une France apeurée par les coups violents que lui assénaient nos fidaiyine, une France vraiment agitée qui déployait un dispositif impressionnant pour «mater les bicots et leur rébellion», selon le propre langage de ses responsables qui augmentaient, chaque fois que de besoin, leurs effectifs et leur matériel de guerre.
«Je raconte ici, quelques épisodes de leur participation, en France, à la lutte de Libération nationale...», écrit l'auteur, modestement, dans sa première épigraphe pour ouvrir son coeur à ses lecteurs, aux jeunes notamment, le précise-t-il dans plusieurs pages. En effet, il a cette attention envers les jeunes, parce que, tel que je le mentionnais dans ma préface, «je voyais, sous mes yeux, un livre vivant, du fait que j'étais envahi par les informations qui fusent entre ses lignes, écrites avec le sentiment de partager avec la jeunesse d'aujourd'hui, ce que fut la génération de jeunes d'hier».
Qui est Ali Boukerma l'auteur?
Ali Boukerma est un enfant de Skikda, qui est venu au monde en 1934, dans cette ville martyre du 20 Août 1955. Il est scout, au sein de l'organisation des SMA, comme tous les héros de la révolution de Novembre, les Ben M'hidi, Didouche Mourad, Souidani Boudjemaâ, le colonel Lotfi,...et pas moins de 18 autres membres des 22, dans cette véritable école du nationalisme, qui avait participé positivement à l'éveil politique au sein de la jeunesse algérienne. Dans cette organisation des Scouts Musulmans Algériens, il a occupé successivement les postes de chef de sizaine chez les louveteaux et chef de patrouille au niveau des Tigres. Quelque temps après, au sortir de l'adolescence, il est responsable d'un groupe de jeunes militants au Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (Mtld).
Recherché par la police coloniale, pour ses activités politiques, il quitte clandestinement l'Algérie, en juillet 1955, pour l'Est de la France, et s'installe chez son oncle, à Nancy, en Meurthe et Moselle. Il n'a que 21 ans, un âge insouciant pour d'aucuns, mais pour lui c'était déjà l'âge adulte car il devait prendre contact avec d'anciens militants de Skikda, sa ville natale, et avec plusieurs natifs du Nord-Constantinois, de Kabylie et des Aurès qui formaient les premières cellules du FLN dans un milieu acquis en majorité à Messali et organisé au sein du MNA. Ces derniers ont mené une lutte ouverte et meurtrière contre le FLN.
Cette adhésion, suivie de son engagement par le travail tangible lui permet d'être nommé, tour à tour, par la haute instance du FLN en France, chef de Kasma, chef de Secteur, puis chef de Région et, enfin, chef de Zone, en qualité de permanent. Et là, il est inutile de dire qu'il va entreprendre de nombreuses et grandes missions pour la guerre d'indépendance de l'Algérie, dans le cadre des responsabilités qui lui sont assignées et qui marquent son parcours dans ces importantes structures politico-militaires, au sein de l'historique Fédération de France du FLN. Dès septembre 1958, il connaît la rigueur des geôles colonialistes et, avant sa com parution devant le tribunal permanent des forces armées de la 6e Région militaire de Metz, il s'évade à deux reprises de la maison d'arrêt Charles III de Nancy et est repris quatre jours après.
Libéré en France au mois d'avril 1962, dès les premiers jours de l'Indépendance, au mois de juillet de la même année, il participe activement, avec d'autres responsables libérés également de prison, les Aït El Hocine Mohand, Séfraoui Rachid, Aïssoub Chérif, Baouch Ahmed, Benchenouf Thameur, Brahim Larbi-Youcef, Tahar Arkoub, Ahmed Farès, à la création des Amicales des Algériens en Europe - France, Belgique, Allemagne, Suisse - et est membre de la Direction centrale chargée de la propagande et de l'information, de même qu'il est président de la jeunesse (AGJA) et responsable de l'administration générale jusqu'au mois de février 1967, date de sa mutation à la Direction centrale du parti du FLN à Alger, en qualité de contrôleur national.
Après, il est inspecteur central au ministère des Moudjahidine - nommé par décret présidentiel. Il est également membre du Conseil national des moudjahidine (ONM) durant quatre mandats et ce jusqu'à présent. Il est également membre du Bureau national de la septième Wilaya historique (ex-Fédération de France du FLN) et, enfin cadre supérieur de la nation en retraite.
Oui, Ali Boukerma m'a dit, tout de go, lors de notre première rencontre autour de ce projet de publication qui lui tenait à coeur, et pour cause, qu'il «ne voudrait pas partir» sans laisser quelque chose pour la postérité, en d'autres termes, sans dire ce que fut la participation courageuse, et non moins déterminante et décisive, et ce que furent les inquiétudes et les souffrances de nos frères en France, pendant notre lutte de Libération nationale. Pour lui, ce sont les nouvelles générations qui doivent s'intéresser à ce travail qui, nécessairement, doit leur apporter des informations et même plus, des vérités et des clarifications, sur ce passé glorieux dont les moudjahiddine et les militants de la première heure, ont su lui imprimer cette marque de détermination, d'engagement, de courage et de sacrifice.
Ainsi, comment ne pas apprécier la franchise de l'auteur qui, à la première question, vous répond avec autant de spontanéité que de naturel: «J'ai noirci des pages blanches..., avec l'encre de mon coeur.» Et c'est ce qu'il a fait, sans verser dans les formules alambiquées, dans le style de ceux qui veulent se rapprocher beaucoup plus d'académies littéraires, que d'être tout près de leurs lecteurs qui doivent bénéficier de leur savoir en matière de transmission de cette magnifique et légendaire révolution de Novembre. En tout cas, Ali Boukerma, qui n'était pas prédestiné à l'écriture, a fait sa première immersion dans ce domaine passionnant parce que, tout simplement, il a quelque chose à dire. En effet, il a beaucoup à dire - ce qu'il fait d'ailleurs dans ce premier manuscrit -, du fait que sa participation dans le cadre du FLN, il ne l'a pas vécue par le biais d'un «geste symbolique» d'adhésion à la lutte de Libération nationale, il l'a vécue réellement, en homme de terrain. Il l'a vécue dans sa chair, avec toutes ses conséquences... Il l'a vécue avec l'angoisse, la peur, l'obsession, la faim, le froid, la maladie, le dénuement, les affreuses tortures, mais aussi avec l'espoir et cette détermination extraordinaire qui l'ont fait vivre pour pouvoir, au moins, assister à l'indépendance et, pourquoi pas, ne pas témoigner, comme il le fait aujourd'hui, en alignant des faits réels pour cerner la vérité de cette courageuse participation des militants du FLN en France, pendant notre révolution.
L'auteur, Ali Boukerma, rapporte tout cela, dans les détails, dans cet ouvrage auquel le lecteur peut ajouter plusieurs qualificatifs, comme généreux et précis. Et il s'agit bien de cette générosité avec laquelle il livre à son lecteur des informations sur les différentes actions des militants, des groupes de choc, des fidaïyine et autres personnes engagées dans le combat et, bien sûr, cette précision qui ne lui a pas manqué pour lui expliquer cet enchaînement chronologique des activités révolutionnaires du groupe auquel il était attaché et dont il était le responsable. Alors, de prime abord, l'on sent que le travail de l'auteur est présenté dans un style fort original, ce qui passionne d'aucuns, dès la lecture du premier chapitre. Son écrit est vivant, en plus d'être humain. Il éclaire le lecteur sur cette détermination de militants qui n'ont pas adhéré à la lutte contre le colonialisme pour des intérêts personnels, mais pour préparer demain, dans la liberté, la démocratie et le développement de leur pays.
Et c'est ainsi, dans un langage simple et fougueux, que l'auteur communique avec ses lecteurs qui comprendront, assurément, cette résolution des militants de la cause nationale, qui leur commandait d'être stoïques dans la douleur, mais également confiants dans l'avenir de leur pays, même si bon nombre parmi eux, se savaient perdus, et attendaient, avec courage, leurs bourreaux. Tout ce monde qui, vivant l'inconcevable incarcération, demandait à apprendre davantage. N'est-ce pas comme il me l'affirmait, lui-même, au cours d'une de nos nombreuses discussions, «que la prison politique est une excellente éducation, puisqu'elle élargit les idées, donne du caractère, et forme les hommes droits et intègres»?
Tout ce monde donc, ne prenait jamais de repos - ce repos du guerrier -, mais s'évertuait, constamment, à élever son niveau d'instruction et, par ailleurs, trouver le meilleur moyen pour s'évader car, comme répliquait spontanément et courageusement lui-même - l'auteur, alias Si Khaled - au procureur de la République, qui lui disait à sa première évasion ratée:
«Il ne faut plus recommencer, la prochaine fois tu risques d'être abattu!
- Je sais, Monsieur le Procureur, mais le devoir d'un détenu, c'est de chercher toujours à s'évader..., pour poursuivre la lutte pour l'indépendance de son pays.»
En effet, tout bouillonnait dans les prisons et les camps de concentration; chez les condamnés à mort, la situation était plus dure, et le courage des militants déconcertait et inquiétait les autorités coloniales. Voici ce qu'écrit l'auteur, Ali Boukerma, qui était témoin de scènes horribles:
«Un bourreau veut passer un bandeau sur les yeux du condamné à mort, mais le militant refuse et s'avance droit, ferme vers la fau cheuse..., le monte-à-regret.
On veut l'aider à monter sur l'échafaud, mais il refuse. Tous les témoins sont admiratifs devant son courage. Il monte seul sur la plate-forme. Il se retourne et son regard se fixe sur le commissaire du gouvernement, ce représentant du pays de ses colonisateurs, de ses bourreaux... Ce dernier, comme désarçonné, jette son regard ailleurs pour ne pas connaître encore le mépris de ces personnes courageuses à l'égard de leurs assassins:
- Allah Akbar! L'Algérie vivra libre et indépendante! Dites cela à votre gouvernement!
Les autres détenus, tous en choeur répondent, Allah Akbar!».
L'ouvrage de Ali Boukerma, un acte militant
Cet ouvrage qui est un acte militant, est en réalité un ensemble d'événements qui ont marqué leur déroulement effectif dans la lutte armée, dirigée par le FLN et son armée l'ALN. Ainsi, de ceux-là - ces péripéties qui ont marqué l'auteur, au plus profond de lui-même -, il en fait une description talentueuse, puisqu'il va jusqu'au détail, non pas pour émouvoir le lecteur, mais pour lui dire l'atrocité et la sauvagerie qui ont accompagné la lutte des Algériens pour recouvrer leur souveraineté nationale. Cependant, s'il a eu la pudeur de ne pas aller très loin dans ses descriptions de tortures et d'humiliations qu'il a subies, ainsi que d'autres détenus parmi ses compagnons, c'est parce qu'il ne veut pas se rappeler ces moments terribles, ces moments de triste mémoire qui ne peuvent soulever que le dégoût chez ses lecteurs, au coeur sensible... Et c'est pour cela que le livre: La guerre d'Algérie en France (1955-1962), ou Combattants du FLN en exil, le souligne aisément, dans son troisième chapitre, quand son auteur va jusqu'à rapporter ce fameux procès, dans une parfaite fidélité.
Là, Ali Boukerma démontre toute sa lucidité, en une mémoire d'éléphant..., quand il pratique avec aisance l'art de la reconstitution, dans toute sa véracité. Et comment n'allait-il pas le faire, me rétorquez-vous, lui qui a été touché dans sa chair, blessé au plus profond de lui-même par sa vie de colonisé et ensuite par son incarcération dans des conditions terribles?
Enfin, l'auteur de cet excellent livre de combat - qui plaira, j'en suis certain, aux nombreux lecteurs - s'est attaché à dégager successivement des plans, des horizons et des lignes de force, dans un style simple, un style littéraire fluide et très explicite, dépourvu de fioritures et de phrases lourdes et complexes. Parce que c'est le militant qui s'exprime, qui ne s'embarrasse d'aucune tournure de phrase, d'aucune construction académique qui, pour certains, va jusqu'à la pédanterie.
L'auteur écrit comme il pense, comme il parle; et l'essentiel pour lui est de communiquer, d'informer, de sensibiliser et de convaincre les jeunes, et les moins jeunes, par des faits, en rapportant cette pénible et audacieuse participation de nos vaillants militants et fidaïyine à la guerre d'indépendance de notre pays..., une guerre courageusement menée et transportée dans l'antre de l'ennemi.
La guerre d'Algérie en France, (1955-1962) ou les combattants du FLN en exil, de Ali Boukerma 160 pages Ed. Juba, 1er semestre 2018
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Posté Le : 12/02/2018
Posté par : litteraturealgerie
Ecrit par : Par Kamel BOUCHAMA
Source : lexpressiondz.com