Le scénario est
lassant. Pourtant il se répète indéfiniment, à l'occasion de chaque grève ou
mouvement de rue.
Ils avaient
engagé une première action de protestation, en novembre. Après bien des
manÅ“uvres, la tutelle avait été contrainte d'admettre qu'elle se trouvait face
à un mouvement d'envergure, qui paralysait tout le secteur. Mais pendant que
des organisations, non agréées officiellement, s'imposaient sur le terrain, le
ministère de l'Education avait engagé des négociations avec la fédération de
l'Education, une des filiales de l'UGTA, le syndicat préféré du gouvernement
algérien! La grève étant devenue plus dure, le ministère de l'Education avait
été contraint de revenir au réel. Et de reconnaître le bien-fondé des
revendications des grévistes, qui devenaient ainsi légitimes. Le ministère
s'est engagé solennellement à les satisfaire.
Après plusieurs mois d'attente, l'accord n'a
cependant pas été appliqué: l'administration s'était révélée incapable de
mettre à exécution un accord salarial signé par le ministère. Ceci avait
suscité la méfiance des enseignants, qui se sont lancés dans une nouvelle
grève, qui a hypothéqué sérieusement l'année scolaire. La tutelle avait de
nouveau condamné, et le ministre était monté au créneau pour donner des
assurances. La fédération UGTA a été de nouveau sollicitée, et utilisée pour
torpiller la grève. Sans succès.
Ceci est le récit des deux grèves des
enseignants, durant l'année scolaire en cours. Mais il suffirait de remplacer
«enseignants» par « cheminots », pour retrouver, exactement, le même scénario
qui a prévalu lors de la grève à la SNTF, cette semaine. Un point important
d'une convention collective, durement négociée, n'a pas été appliqué par la
direction de l'entreprise des chemins de fer. Les cheminots se sont mis en
grève, sans que la fédération UGTA s'implique dans le mouvement. Ce n'est que
plus tard que cette organisation a tenté d'intervenir, pour jouer au pompier.
Quant à la SNTF, elle a fini par admettre qu'il y a un vrai problème
nécessitant des négociations avec les grévistes. Elle a donc promis de
satisfaire les revendications des travailleurs.
Pour les deux mouvements de grève, on ne
parle plus des journées de travail perdues, ni des cours ratés par les élèves,
ni des problèmes rencontrés par les usagers du train. On oublie la déchéance du
syndicat officiel, et on occulte la poussée d'une nouvelle base syndicale que
les autorités refusent de reconnaître. On ne se rend même plus compte qu'une
Algérie vivante, dynamique, est en train d'émerger, qu'elle essaie de s'imposer
sur le terrain social, en ayant recours à des moyens de lutte démocratiques et
pacifiques, mais qu'elle bute systématiquement sur une administration
sclérosée, qui se maintient grâce à sa formidable force d'inertie et qui
empêche ainsi le pays de bouger.
A côté de ce combat entre ces deux Algérie
qui s'affrontent depuis des années, on note aussi cette manière de gérer les
crises, devenue caricaturale. Dans tous les secteurs, les problèmes
s'accumulent, à cause d'une administration incapable d'anticiper les crises, de
les gérer autrement que par le bras de fer et le pourrissement. Cela donne des
explosions régulières, comme ces mouvements de grève qui, pour être sauvages,
n'en sont pas moins légitimes, comme l'a reconnu Abdelmadjid Sidi Saïd, le très
conciliant patron de l‘UGTA, lors de la grève à la SNTF. Quand la grève est
déclenchée, un curieux tribunal de Sidi M'Hamed, faisant preuve d'une célérité
remarquable, juge le mouvement de protestation illégal. C'est un moyen de
pression comme un autre, utilisé par l'administration pour gérer la grève.
Ensuite, on assiste aux mêmes manÅ“uvres, aux mêmes déclarations sur les efforts
de l'Etat pour prendre en charge l'ensemble des préoccupations des
travailleurs, avant d'aller au fond des choses, pour négocier et accepter les
revendications des grévistes.
Pourquoi ces pertes de temps, d'argent et
d'énergie ? Pourquoi attendre que les gens sortent dans la rue pour leur parler
? Pourquoi des administrations refusent-elles d'appliquer des décisions prévues
par la loi, ou ayant fait l'objet d'accords dûment signés avec les
représentants des travailleurs ? Ce sont les grands mystères de l'Algérie du
nouveau siècle. Des mystères qui relèvent souvent de l'absurde. Un système
politique est conçu pour anticiper les crises, et prendre les mesures adéquates
pour les éviter. A défaut, il engage les actions nécessaires pour en atténuer l'effet.
Et si la crise déborde dans la rue, on estime alors que le système politique a
échoué.
En Algérie, le responsable ne peut et ne sait
pas anticiper. Quand la crise éclate, il manÅ“uvre, nie la réalité, et pousse au
pourrissement, en attendant que la tutelle lui donne des instructions. Et quand
celles-ci arrivent, elles vont contre le bon sens le plus élémentaire.
Ou bien elles
arrivent trop tard. Ce qui provoque ce scénario de grèves à répétition : le
système politique algérien a réussi à transformer la grève en une vraie
routine.
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Posté Le : 20/05/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abed Charef
Source : www.lequotidien-oran.com