"La grève fut un épisode lourd de conséquences"

Liberté : C'est la fin de la grève. Le mouvement de grève des dockers a pris plus de temps que prévu. Quel bilan en tirez-vous après 20 jours de grève ' Cette reprise survient, il faut le dire, après que la justice a déclaré la grève illégale.Kasmi Halim : Ce fut un épisode lourd de conséquences pour le port de Béjaïa. Il faut rappeler qu'avant la décision de la cour de justice du 9 août dernier déclarant l'illégalité de la grève, nous avons prôné la concertation et plaidé pour la construction de solutions dans l'intérêt commun.
Le bilan que j'en tire, c'est la nécessité de faire valoir un pacte de stabilité sous l'égide de la centrale syndicale UGTA aux fins de préserver les intérêts du port et de ses opérateurs de ces mouvements de débrayage intempestifs, en décalage total avec les règles de droit, notamment l'article 4 de la loi 90-02 du 6 février 1990, relative à la prévention et à l'exercice du droit de grève.
Le mouvement de grève n'a pas été sans conséquences ni sur l'EPB ni sur ses clients, les entreprises économiques, ainsi que sur l'économie locale. Avec ce conflit, le port de Béjaïa a failli perdre sa deuxième place en termes de trafic de marchandises notamment, alors que les chiffres des six derniers mois étaient encourageants. L'EPB est-elle en mesure de retrouver sa place '
Je tiens à faire savoir qu'en date du 9 août dernier, 17 navires en rade avaient été recensés. Preuve s'il en est que nos clients sont demeurés fidèles au port, qui est connu pour ses performances logistiques. Avec le concours de nos braves travailleurs, nous allons déployer tous les moyens nécessaires pour redoubler d'efforts et rattraper, autant que faire se peut, les retards. Le défi est de taille, certes.
Mais je suis sûr que le professionnalisme de nos employés, de nos équipes, impactera positivement les résultats de trafic d'ici les mois prochains. On peut se donner, d'ores et déjà, rendez-vous afin d'apprécier les résultats dans les tout prochains mois.
À combien chiffrez-vous les pertes induites par ce mouvement de grève sur l'équilibre financier de l'EPB et son impact sur l'économie locale '
Au vu des estimations que nous avons faites, avec 23 navires déroutés vers d'autres ports, et des navires ayant déjà manifesté le désir d'aller vers d'autres ports sans que nous puissions les recenser, j'estime ce manque à gagner à environ 700 millions de dinars et à plus de 1,2 million de dollars, qui seront supportés par les réceptionnaires et le Trésor public algérien.
Vous confirmez donc que des entreprises n'ont pas hésité à dérouter les navires vers d'autres ports pour ne pas payer des surestaries. Avez-vous prévu un plan d'action pour sauvegarder vos clients et dissuader notamment les chefs d'entreprise qui pourraient basculer devant la persistance des mouvements sociaux au port de Béjaïa '
Nous devons tirer des conclusions de tout ce qui s'est passé après 20 jours de grève. Notre devoir est clair, respecter notre devise qui est : "Votre confiance, pour de meilleurs performances." Comme cité précédemment, plusieurs opérateurs ont choisi, malgré le débrayage, d'attendre en rade que d'aller ailleurs, preuve de leur fidélité. Je confirme que nous sommes en train d'élaborer un plan d'action d'urgence, pour augmenter la productivité aux navires, y compris le travail en H24 pour les navires conventionnels, les céréaliers et les porte-conteneurs.
Par ailleurs, avec la centrale syndicale, nous travaillerons en étroite collaboration pour concrétiser un pacte de stabilité pour nous prémunir contre des tentatives de grève non fondées sur la loi et privilégier toujours les voies du dialogue.
Vous voulez dire que le management de l'EPB pense à lancer une offensive commerciale pour conserver ses clients, dans un secteur devenu ultraconcurrentiel, après le "trou d'air" causé par cette grève...
Tout à fait. Dans ma feuille de route, engagée depuis mon installation, j'ai misé sur deux aspects majeurs, à savoir l'efficacité commerciale et opérationnelle ; l'organisation efficiente. La seule manière de convaincre les clients, ce n'est pas avec l'éloquence des mots, mais par les chiffres. Malgré les désagréments subis par ce débrayage, nous irons vers nos clients leur apporter la preuve que nous pouvons tenir nos engagements en matière de performances logistiques ? les opérateurs sont très sensibles à ce genre d'arguments, nous en sommes conscients ? et leur affirmer que les attentes en rade seraient des plus courtes possibles. Avec le concours des différentes instances de contrôle aux frontières, nous réunirons les conjonctions favorables pour dynamiser au maximum le traitement des navires et l'évacuation des marchandises du port.
Vous aviez plaidé durant ce conflit pour le respect du service minimum pour ne pas pénaliser les entreprises qui ont déchargé une partie de leurs marchandises, mais qui se sont retrouvées pénalisées. Cette question est-elle au menu des discussions avec le partenaire social '
Le dispositif conventionnel actuel prévoit un service minimum pour le traitement des navires à hydrocarbures (pétroliers et parapétroliers). Au vu de la sensibilité de certains autres trafics stratégiques tels que les produits alimentaires, les médicaments et les intrants indispensables à certaines industries, nous allons engager des discussions avec le partenaire social pour modifier l'article conventionné en question et inclure ces produits.
On a beaucoup critiqué le projet de la gare maritime, qui a englouti des sommes faramineuses. D'abord, quel est le montant exact de cet investissement ' Curieusement, vous êtes l'un des rares dirigeants à penser du bien de cette infrastructure. Vous dites même qu'il est possible de la rentabiliser. Comment '
La gare maritime du port de Béjaïa est une infrastructure des plus modernes, et je dirais même la meilleure sur tout le bassin méditerranéen. Elle a coûté un peu plus de 4 milliards de dinars. Notre raison d'être en tant que port est aussi bien d'assurer des missions commerciales que de service public. Je suis convaincu ? malgré le pessimisme de beaucoup de gens ? que ce fleuron architectural rayonnera de par le dynamisme des activités que nous projetons d'y mener que du point de vue de la rentabilité économique. Nous sommes un port qui est connu pour son avant-gardisme, notamment en matière d'investissement. Voyez le projet du port intérieur de Tixter, sis à Bordj Bou-Arréridj. Beaucoup de gens ont critiqué le choix de cet investissement éloigné de quelque 200 km du port.
Les réticences ont sauté le jour où nous avons pu lever certaines contraintes d'ordre procédural. Et je parle plus précisément du déploiement de ce qu'on appelle l'extrait de manifeste. Nous avons pu augmenter le traitement de la zone en passant de 500 boîtes pleines, transférées en 2017, à plus de 5 000 boîtes en 2019.
Nous prévoyons d'ailleurs pour cette année environ 10 000 boîtes pleines à transférer, avec un chiffre d'affaires prévisionnel de 600 millions de dinars. C'est dire qu'il faut laisser mûrir les plans opérationnels pour l'exploitation de la nouvelle gare maritime. Un concept inédit est en étude, et nous sommes en train de lever les contraintes techniques et procédurales qui y sont liées pour y parvenir et démarrer les activités projetées. Je suis convaincu que l'histoire donnera raison à ce choix d'investissement, comme l'ont été d'autres projets portés par l'entreprise.
Un dernier mot...
J'espère, comme dit l'adage, que de tout mal jaillira du bien. L'expérience que nous avons vécue était très dure, mais la sagesse et la conscience collective positive ont fini par gagner tous les esprits.
Je remercie énormément les opérateurs économiques qui nous ont témoigné leur confiance. Je m'engage à prendre toutes les mesures nécessaires pour que ce genre de désagréments ne se reproduise plus et ce, dans l'intérêt général, de l'entreprise, des travailleurs et des clients.
Propos recueillis par : Moussa Ouyougoute