Algérie

La grève de Cevital révèle la précarité du droit syndical chez le privé



Le premier groupe privé algérien, Cevital, n'a pas de représentation syndicale sur son premier site de production à Bejaïa. Plus de 20 ans après l'instauration du multi-syndicalisme, accompagné d'une activité intense des syndicats autonomes, le secteur privé reste largement fermé à ce droit que la loi accorde à l'ensemble des travailleurs. La dernière tripartite a pointé cet archaïsme social.

Peu de patrons sont à l'aise pour en parler. Quelques-uns ont accepté.

La grève générale, du 19 janvier dernier, dans les usines de Béjaïa du Groupe de Cevital, a eu pour objet des revendications salariales mais également, à la surprise de l'opinion nationale, la revendication de l'exerce du droit syndical. Ce conflit de travail qui a frappé le premier site de production du premier groupe privé algérien a été l'occasion de mesurer, l'immense retard de la syndicalisation en contexte d'entreprises privées en Algérie. De plus en plus de tensions internes à ces entreprises ont pour revendication première l'instauration d'un syndicat au même titre que les revendications traditionnelles de la hausse des salaires et de l'amélioration des conditions de travail. L'absence d'activité syndicale touche des grands acteurs de l'agro-alimentaire, de la boisson, de la distribution automobile, de la téléphonie mobile, des matériaux de construction et de l'électronique grand public. C'est déjà au sein du groupe Cevital – prime au leader - qu'en mai 2011, l'opinion était alertée sur les contraintes que subit l'exercice du droit syndical au sein du secteur privé. Une grève de plusieurs jours avait été observée par les travailleurs du concessionnaire automobile Hyundai Motor Algérie (HMA), filiale du Groupe Cevital. Au chapitre revendications, des hausses de salaires, la participation au bénéfice de l'entreprise, la médecine du travail, mais également, et tout autant, la mise à disposition des représentants des travailleurs d'un bureau pour l'exercice de leur droit syndical. Portée devant la justice, le syndicat de HMA a été débouté pour «grève illégale» mais le mouvement a permis une avancée du droit syndical. Selon les syndicalistes de l'entreprise, un local leur a été attribué pour les réunions des représentants des différents délégués des travailleurs, et une «convention a été signée avec une clinique» pour assurer la revendication de médecine du travail. D'autres revendications, de revenus notamment, demeurent pendantes, mais le dialogue social a fini par se mettre en place avec l'émergence d'un partenaire syndical chez Hyundai Algérie. Beaucoup trop de grands employeurs privés en sont toujours à la traque de toutes velléités de syndicalisation de leur collectif des travailleurs.

LES DECISIONS DE LA TRIPARTITE TARDENT A SE CONCRETISER

Si la scène syndicale dans le secteur privé reste très timide, voire insignifiante, c'est principalement en raison d'interdictions avérées imposées, sous différentes formes, par les employeurs. Les patrons ont été interpellés au sujet de cet archaïsme social, lors de la dernière tripartite (gouvernement-UGTA-patronat) des 29 et 30 septembre 2011. Ce point avait été introduit par l'UGTA, à la suite de plaintes pour des entraves à l'exercice syndical, enregistrées «au niveau de quelques entreprises du secteur privé national et étranger». La Centrale avait demandé «le concours des organisations patronales et l'intervention des pouvoirs publics pour garantir le respect des dispositions légales relatives à l'exercice du droit syndical».

Dans la déclaration finale de la 14e Tripartite, il est écrit que «l'ensemble des organisations patronales participant à la Tripartite ont dénoncé ces violations de la législation sur le droit syndical soulignant que celle-ci est respectée par leurs adhérents». De son côté, le gouvernement avait déclaré sa disponibilité pour «intervenir à travers ses organes compétents, et le cas échéant, à saisir les juridictions pour toute violation persistante du droit des travailleurs au libre exercice de leur droit syndical», notait le communiqué final.

«LES CHOSES VONT S'ACCELERER» SELON M. ZIANI

Deux patrons privés ont accepté de parler de la syndicalisation dans leur activité industrielle. Pour Mohamed Laïd Benamor, président-directeur général (PDG) du Groupe Benamor, la présence d'un syndicat d'entreprise «ne pose aucun problème». «Dans l'une de nos unités (la conserverie) il existe depuis longtemps un syndicat. Dans les autres unités (moulins), les travailleurs n'ont pas exprimé la volonté d'en créer. Il faut dire aussi que nous communiquons énormément avec les travailleurs et les choses se passent très bien. Nos employés ont toujours leur dû», affirme encore M. Benamor.

Le président de la Fédération de l'agro-alimentaire au sein de la CIPA, Abdelouahab Ziani, et PDG d'Arômes d'Algérie, soutient que les adhérents de la Confédération qui n'ont pas encore de syndicats des travailleurs «vont se conformer à la loi». «Nous sommes en train de monter un syndicat d'entreprise», dira-t-il à propos de la société qu'il dirige.

Selon lui, lors de la dernière Tripartite, les membres des différentes organisations «ont longuement discuté» de ce sujet avec le gouvernement et l'UGTA. Il s'en est dégagé de ces discussions «qu'à partir du moment où la liberté sera accordée aux travailleurs d'être affiliés au syndicat de leur choix, ça ne pose aucun problème», explique-t-il.

«Auparavant, les patrons craignaient le monopole de l'UGTA. Mais maintenant qu'il existe plusieurs syndicats et un dialogue soutenu avec l'UGTA, ces craintes ont été dissipées», ajoute M. Ziani.

«Lors de la dernière AG, le président de la CIPA (Abdelaziz Mehenni, ndlr) a longuement insisté sur la création de syndicats au sein des entreprises membres. Il leur a clairement signifié de s'appuyiez sur les représentants des travailleurs pour préserver les entreprises productives», explique notre interlocuteur.

M. Ziani croit savoir que «les choses vont s'accélérer» dans ce sens au cours des prochains mois aussi bien à la CIPA que dans le reste du secteur privé. Selon lui, le ministère du Travail est sur le point d'adresser une note à l'ensemble du secteur privé national et étranger pour se conformer rapidement à la loi.

«LE CODE DU TRAVAIL INADAPTE» SELON SLIM OTHMANI

Slim Othmani, président de NCA – Rouiba, commence par préciser que son entreprise dispose depuis le début d'un syndicat des travailleurs. Mais un autre «archaïsme», légal celui-là, peut expliquer, selon lui, la réticence de certains employeurs vis-à-vis de la syndicalisation de leur collectif. Il s'agit des quasi-droits de co-gestion octroyés par le code du travail aux représentants syndicaux, des droits transposés de la philosophie de la gestion socialiste des entreprises (GSE) : «Le code du travail est en inadéquation avec l'Algérie que l'on veut construire. Tel qu'il est aujourd'hui, il renferme des conditions qui ne sont pas en phase avec le savoir-faire syndical. Le code du travail m'oblige de présenter la stratégie future de l'entreprise à l'appréciation du syndicat. Je réfute cette disposition. Elle n'est pas censée dans le contexte concurrentiel d'aujourd'hui. Je ne vais pas révéler mon budget marketing à autrui qu'aux administrateurs de l'entreprise». L'association des producteurs de boissons a publié en février 2005 un document où elle souligne «ligne par ligne», les dispositions du code du travail inadaptées avec la réalité économique du pays, exemple l'obligation de montrer aux représentants syndicaux le solde mensuel et les mouvements sur le compte bancaire de l'entreprise.




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