Algérie

La grande question de chaque instant


Pour Albert Camus dans «L'homme révolté», la grandequestion, celle qui vous regarde tout le temps et dont vous évitez de croiserles yeux brillants et fixes, c'est celle-ci: faut-il vivre ou se suicider ? Mourirpar décision ou par usure ? Tout le reste n'étant qu'habillages, salons, conjugaisonset démarches de crabes.Pour l'Algérien, cet être vivant sur une terre qui pose peude questions philosophiques mais qui traîne un gros cabas de réponses dépassées,la grande question, celle qui dort avec vous, plus près de vous que votre femmeou votre veine jugulaire, c'est celle-ci: faut-il partir ou rester ? On peutêtre ministre, riche, abdelazizien sonore, pauvrecomme ses propres semelles ou confortablement assis entre Dieu et le Dinar, ily a toujours un moment de la journée, de l'année ou de la vie où on se posecette question de fond qui ressemble à la question posée à la veille du 1erNovembre dans un salon de photographie algérois: faut-il prendre ses enfants ouson prénom et son nom et partir ou faut-il attendre que cela s'arrange, seredresse ou finisse par devenir mieux après avoir touché l'extrême du pire ? Faut-ilvivre sa nationalité ailleurs et rester algérien pour ses parents et pas pourle drapeau, ou rester ici et en vouloir à ses parents pour l'accouchement, audrapeau pour l'arnaque, à son manque de volonté pour la géographie et à Bouteflika pour tout le reste ?La vie de chaque Algérien est finalement faite etconstruite à partir de cette seule réponse à cette seule question. Tout lereste s'ordonne autour, avant et après, dès qu'on a répondu et même lorsqu'onrépond à moitié. Selon la réponse, la vie peut être un exil ou un ricanement. Uneréfection intime ou une lente rouille. L'Algérien ne se demande pas si Dieuexiste mais si lui existe vraiment. On peut passer sa vie en Algérie en rêvantde la quitter ou passer sa vie hors de l'Algérie en rêvant soit d'y revenir, soitqu'elle revienne à la raison. Dès qu'on répond à la question, on se piège. Dèsqu'on refuse d'y répondre, on se piège et on continue de vivre en se tournantle dos. On peut répondre à la question fondamentaleavec une barque, dix grammes de kif, une barbe, un visa ou un faux visa ou avecun démo numérique. Ceux qui partent, partent définitivement, même s'ilsreviennent l'été ou le ramadan, et ceux qui restent, restent assis sur desbraises ou tout près de Bouteflika pour avoir quelques chose à faire dans la vie. Ceux qui décident departir partent mais se sentent vides un peu partout. Ceux qui restent sont desidiots, des bouddhistes, des cosmonautes ou des gens qui tiennent à avoir desracines et une lampe de poche en guise d'avenir. Certains passent leur vie àessayer de partir, s'autres à raconter comment ils ont failli le faire etd'autres comment ils y ont renoncé et les derniers comment ils ont décidé derevenir malgré leur départ.Chacun a donc à décider selon soi. En toute souveraineté, entoute intimité, loin du 1er Novembre ou de l'hymne national. C'est «Laquestion». Une question de vie ou de mal vie. Certes, à la fin tout le mondemeurt. Mais certains pensent qu'ils ont le droit de mourir avec le sourireheureux.
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)