Toute religion, philosophie, éthique, système éducatif, qui ont eu à traiter de la question de la faute, du péché et de ses corollaires tels que le châtiment, l'absolution, le pardon, l'amendement, la pénitence, insistent énormément et préconisent invariablement des ripostes fondées sur la rigueur et l'intransigeance.
Cette approche draconienne, mais juste et légitime, doit prédominer lors du processus de réparation ou de reconstruction entrepris au bénéfice du corps social lésé. Cette tâche de la rétribution/réparation incombe à l'Etat et a pour but de préserver l'ordre public et la cohésion sociale. D'un autre côté, tout le nécessaire est entrepris afin qu'également l'assistance nécessaire et appropriée soit apportée aux détenus afin qu'ils puissent se réapproprier les moyens qui leur permettront de s'amender et de réintégrer le corps social. Réparer, ou faire oublier les dommages causés par un crime, exige des sacrifices. Faire acte de pénitence ne consiste quand même pas à aller passer des vacances à Ibiza.
«Pour qu'un châtiment produise l'effet voulu, écrit Beccaria, il suffit qu'il surpasse l'avantage résultant du délit». Bentham poussera ce principe à ses dernières conséquences en affirmant que «tout individu se gouverne, même à son insu, d'après un calcul bien ou mal fait des peines et des plaisirs», pour opérer une dissuasion efficace, il suffit donc que «le mal de la peine surpasse le profit du délit». Dans l'état actuel des choses et devant l'accroissement de toutes ces violences multiformes, notre civisme ravagé, le déploiement du crime organisé, cette délinquance galopante, une question cruciale taraude les esprits : pourquoi les gens ne craignent-ils plus l'autorité de l'Etat ni son pouvoir coercitif et répressif ' La dogmatique de la «dissuasion», chère à Beccaria et «l'arithmétique pénale» de Bentham sont hélas battues en brèche.
Le célèbre mythe de la dissuasion dont ils vantaient tant les mérites et qui devait, selon eux, spontanément s'opérer par le truchement «d'une peine qui génère chez le délinquant un mal qui surpasse le bien qu'il aurait retiré du crime». Tout cela n'a plus cours. Les gens ne craignent plus la prison ni de prendre des risques qui peuvent dans certains cas leur être fatals. Les prisons se trouvent aujourd'hui face à un dilemme insurmontable, s'agit-il de satisfaire les exigences d'une Communauté internationale en matière de Réforme du système pénitentiaire en s'évertuant ostensiblement et ostentatoirement à instaurer une politique plus soucieuse des droits de l'homme, a fortiori que le Pnud collabore avec une générosité financière que l'on doit s'efforcer de mériter(3) ' Ou bien s'agit-il de durcir le traitement destiné à une délinquance qui ne semble reculer devant rien ' Le système judiciaire algérien semble plus pragmatique, vigilant et moins intransigeant et complaisant que le système pénitentiaire qui avance chancelant, dubitatif et qui est apte à tous les compromis.
Tout le monde sait que la grâce présidentielle fait office de soupape de sécurité face à la surpopulation carcérale et les affres qu'elle engendre intra-muros, pour les détenus eux-mêmes et surtout pour l'administration pénitentiaire qui aura du mal à gérer d'énormes tensions internes parfois insurmontables et qui compromettent de facto l'individualisation de la peine. Néanmoins, aucune fin ne peut justifier cette politique qui consiste à relâcher des centaines de délinquants dont la dangerosité constitue toujours une menace qui va crescendo en prenant des proportions alarmantes dont la seule cause reste cette complaisance et cette duplicité de l'administration pénitentiaire qui, au nom de la réinsertion sociale et sous prétexte d'activités socio-éducatives (enseignement-formation-examens) a accaparé un pouvoir énorme et sournoisement dangereux.
Le système pénitentiaire dispose d'instruments(4) de clémence, de pardon, de réduction de peine et d'individualisation de la peine mille fois plus efficaces, légitimes et justes, car consciencieusement réfléchis et rigoureusement motivés, contrairement à la grâce présidentielle qui demeure trop aléatoire et arbitraire, car abusive et produisant des effets contraires. Ce droit régalien du Président, cette mansuétude tels que l'administration pénitentiaire les prédétermine, les manipule et en use et abuse s'avèrent trop arbitraires, dans la mesure où cet acte de bienfaisance transcende ou élude toutes les autres considérations liées au mérite de celui à qui la grâce est accordée, ainsi que sa propension à être à la hauteur de ce pardon.
La situation que connaît l'Algérie, notamment au sujet de la criminalité, de la récidive et de l'insécurité omniprésentes semble discréditer complètement notre politique sécuritaire et notre système pénitentiaire. Machiavel disait : «Il y a deux manières de combattre, l'une avec la loi, l'autre avec la force. La première est propre aux hommes, l'autre nous est commune avec les bêtes. »(5) Et c'est justement au nom de la première norme (Loi-Justice-Ordre) que l'Etat doit parfois recourir à son corps défendant à la deuxième manière (Violence-Force) pour arriver à neutraliser cet état de bestialité qui resurgit dans l'homme et menace le corps social tout entier ainsi que l'Etat. En-dehors de ces situations propres aux despotismes et aux tyrannies, il ne doit y avoir aucune appréhension ou réticence à plébisciter et réclamer d'urgence cette violence légitime de l'Etat.
Ce dernier doit récupérer ce «monopole de la violence» dont parlait Weber, non pas pour préserver des privilèges et intérêts particuliers, mais pour être exclusivement au service du peuple, de la société. Weber dira : «Tu dois t'opposer au mal par la force, sinon tu es responsable de son triomphe».(6) Bien évidemment, l'usage de cette violence doit être motivé par des conjonctures exceptionnelles, à l'image de ce que préconisait autrefois Louis XIV dans son Ultima ratio regum, ou le dernier argument des rois, lorsque s'épuisent toutes les autres bonnes volontés. «La menace et, éventuellement, l'application de la violence, en est assurément le moyen spécifique et partout elle est, en cas de défaillance des autres moyens, l'ultima ratio.»
(7 )Il est aussi utile d'ajouter que, pour rétablir l'ordre, ces Etats quelque peu discrédités doivent non seulement recourir à davantage de violence, mais surtout être particulièrement crédibles et légitimes dans cette violence qu'ils mettront en 'uvre pour restaurer l'autorité de l'institution qu'ils incarnent, l'ordre public et assurer la paix sociale. Dans l'état actuel des choses, les Etats arabes qui restent encore debout, vulnérabilisés de toutes parts, estiment qu'il est plus que jamais judicieux d'agir avec énormément de circonspection et de louvoiement face à ce maelström de violences multiformes et de séditions hétéroclites, autant perverses pour la société que les dictatures et les régimes répressifs qui régnaient avant ce chaos dont ils sont les instigateurs inconscients.
Notes de renvoi :
3) Avec un financement de plusieurs millions d'euros, le Pnud (Programme des Nations unies pour le développement) est fortement impliqué dans la réforme pénitentiaire enclenchée en Algérie. Un programme de partenariat est également mis sur pied entre l'Algérie, la Grande-Bretagne et d'autres pays de l'Union européenne. Ce qui place l'Algérie dans une forme de période probatoire, sommée de rendre des comptes au sujet de sa bonne volonté et de ses assiduités en matière de réforme de la Justice et de son système pénitentiaire.
4) Les établissements pénitentiaires disposent de structures plus aptes à être in situ, par le processus de «l'individualisation de la peine», habilitées à évaluer ou juger parmi les détenus ceux qui méritent le plus ces mesures de peines aménagées et autres mesures de clémences et de récompenses. On peut citer : la Commission de l'application des peines, chargée, entre autres, de la mise en 'uvre des peines aménagées, telles que la semi-liberté, la libération conditionnelle, la permission de sortie'
Le Service spécialisé d'orientation et d'évaluation : chargé à travers son équipe technico-médicale d'établir un «Plan correctionnel », autrement dit un traitement approprié et personnalisé en fonction de la personnalité du détenu.
Services extérieurs : chargés de faire des enquêtes sociales, assurer le suivi des personnes mises sous probation, de préparer la réinsertion et accomplir toutes les mesures d'accompagnement au profit des détenus libérés.
5) Machiavel, Le Prince, chap. XVIII, traduction par C. Ferrari, Bureaux de la publication, Paris, 1866
6) Weber, Max, Le savant et le politique, coll., 10/18, Paris, Plon, éd. n° 1003, 1973
7) Weber, Max, Economie et société, Paris, Plon, 1971.
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Posté Le : 16/08/2012
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Feriel Lounici juriste et criminologue
Source : www.elwatan.com